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sociaux, cette chaîne qui lie toutes les circonstances existantes ignorées, — s’appelle dans notre monde mercantile la conjoncture[1][2].

Et la divination surnaturelle, métaphysique, sur l’effet que produisent ces circonstances inconnaissables (unwissbar), est la spéculation.

La conjoncture et la spéculation dominent notre existence économique commune, elles dominent l’agitation commune de notre monde mercantile et, par les anneaux que forment ses vagues mises en mouvement, elles agissent sur elle et déterminent la forme individuelle du filet d’eau qui coule en apparence tranquille et d’une manière indépendante sur la rive lointaine.

Elles dominent chaque existence individuelle d’autant plus intensivement que le travail de l’individu est plus dépendant de la grande industrie mercantile, et d’autant moins intensivement que cette existence appartient à une époque presque disparue ou n’existe que dans ses derniers débris.

Ou en d’autres termes :

Leur pouvoir sur chaque individu est d’autant plus intensif, que le travail de l’individu consiste à produire des valeurs d’échange, et d’autant moins intensif, que le travail de l’individu est appliqué à la production des valeurs d’utilité pour son propre

  1. Les stoïques grecs et romains appelaient Conjunctio rerum omnium, ἐπιπλοκή, συμπλοκή, ἐνδεσις τῶν ὄντων (enchaînement, jonction de tout ce qui existe), le lien orphique indissoluble (δεσμός ἄρρηκτος), la είμαρμένη, la chaîne du destin qui négativement lie et détermine tout ce qui existe. V. Herakleit, V. I, p. 374-379.
  2. Die Conjunctur serait mieux traduit en français par concours de circonstances, mais nous conservons le mot propre, bien moins employé en français qu’en allemand, pour rester plus fidèle au texte de l’auteur. (Note du traducteur.)