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violents et énergiques ou calmes ; blâmes ou approbations, partout on entendait apprécier, et juger avec la plus grande assurance !

Alors entre moi et ces messieurs s’engageait toujours le dialogue suivant : « Vous avez donc lu mes écrits, que vous jugez ? » — « Non. » — « Mais vous avez lu au moins l’écrit de M. Schulze ? » — « Encore moins. » — « Et sur quoi fondez-vous les jugements que vous prononcez avec tant d’assurance ? » — « Et les journaux, donc ! »

C’est cela, les journaux ! Les journaux sont devenus le cerveau fonctionnant de la bourgeoisie !

Le bourgeois ne pense plus, quand même il est vieux, doué et plus capable de pensée que ceux auxquels il emprunte les idées toutes faites. Penser soi-même est incommode ; cela exige de l’étude, du travail, de la lecture et des recherches personnelles. Il est bien plus commode de tirer de la fabrique les idées toutes faites !

Le bourgeois s’adresse encore moins aux négociants en gros de la pensée dont l’Allemagne s’enorgueillit, à nos grands penseurs et à nos philosophes.

Pour cela faire, il est trop dépourvu de goût, de temps et de connaissances préliminaires.

Comme ceux qui, manquant de moyens pour acheter leurs provisions en masse chez des marchands en gros, doivent les prendre mauvaises et falsifiées chez le petit épicier, il tire tous les jours les pensées toutes fabriquées des mains de misérables gâte-métier, des mains de nos journalistes libéraux !

Aussi est-il arrivé que les grands et les meilleurs de notre nation, nos penseurs et nos poètes, ont passé comme une volée d’oiseaux au-dessus de la tête de cette bourgeoisie, en ne laissant der-