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Mais le Koran et la Bible ne furent pas invoqués en témoignage avec plus de foi au temps de leur domination, que ne le sont de nos jours les journaux ! La pensée nationale, en tant qu’elle est représentée par la bourgeoisie, est actuellement fabriquée par les journaux !

Quiconque lit un journal n’a plus besoin de penser, ni d’étudier, ni de faire des recherches. Il est au courant de tout et il sait tout. Il y a soixante ans que Fichte[1], avec un don prophétique presque effrayant, puisqu’il descend jusqu’aux moindres détails, a dépeint le vrai lecteur qui ne lira jamais plus aucun livre, mais seulement des comptes rendus de livres dans les journaux, et qui dans cette lecture narcotique perdra sa raison, sa volonté, sa pensée et toute l’élasticité de son esprit. Mais s’il perd tout cela, il gagne en revanche le plus grand contentement de soi-même et l’assurance de son opinion !

Du temps de Fichte tout cela était encore en germe et ne s’étendait qu’aux questions littéraires.

Aujourd’hui le mal est en plein développement, et il s’étend à toutes les questions sociales et politiques qui déterminent le bonheur ou le malheur de la nation !

L’automne dernier, j’ai eu l’occasion de m’en convaincre, en traversant une grande partie de l’Allemagne.

Partout où j’arrivai, la conversation tombait d’elle-même sur la grande question du jour, sur ce qu’on appelait le combat entre moi et M. Schulze. Les opinions et les jugements volaient de tous côtés ! Jugements bienveillants ou malveillants,

  1. Œuvres complètes, t. VII, p. 78-91.