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habit de fête, artillerie manœuvrant ses pièces, couvraient la plage, et ce dut être pour cette foule avide, dit l’abbé Coquereau, un spectacle bien imposant que ce passage, au lever de l’aurore, du bateau funéraire. On ne nous avait pas vus venir ; il semblait que nous surgissions de l’Océan.

« Nous entrions en Seine ; notre flottille allait parcourir les rives que l’Empereur avait choisies pour le lieu de sa dernière demeure. Dès ce moment commença une marche vraiment triomphale : le temps était froid ; décembre, avec son givre glacial, son vent du nord qui dessèche et flétrit, faisait ressentir son action dans nos campagnes. Nous devions les trouver tristes et désolées, et jamais rives d’un fleuve ne furent plus brillantes de parure et d’animation. C’était une nature vivante, car des rives parlaient des voix, des cris, qu’elles se renvoyaient alternativement. Dans les villes, tout était noble, réglé avec soin ; il y avait eu convocation : municipalité, armée, milice citoyenne, prêtres chantant les cantiques des morts ; les volées des cloches et du canon : tout était bien, Rien ne manquait sans doute à cette grande solennité.

« Mais combien plus touchants ce désordre sublime des campagnes, cette spontanéité du cœur qui révèle la sincérité de l’hommage vrai, naïf, grand alors, admirable dans son expression ! Le paysan avait tiré de son bahut l’habit des fêtes chômées ; il avait décroché de la crémaillère, où elle était suspendue au-dessus de l’âtre, sa vieille carabine. Depuis le temps où elle avait envoyé la mort au soldat de Wellington,