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ques autres décorations que l’on distinguait sur la poitrine ; la couleur rouge du grand-cordon de la Légion-d’Honneur tranchait avec le blanc du gilet ; les deux vases contenant le cœur et les entrailles étaient entre les jambes ; une aigle en argent surmontait l’un de ces vases. Tous ces objets étaient intacts. A une heure un quart et quelques minutes la constatation de l’identité étant complète, on referma, après quelques préparations rapides, la plaque de fer-blanc. Le cercueil rentra successivement dans quatre nouvelles enveloppes ; à trois heures tout était terminé. Ce fut à ce moment-là véritablement que l’Angleterre rendit à la France ces nobles dépouilles ; bientôt un char funèbre, attelé de quatre chevaux caparaçonnés de deuil, entraîna cet illustre cercueil ; le poêle avec ses aigles couronnées, ses abeilles en or sur velours violet, sa large croix d’argent et sa bordure d’hermine, couvrit le char de ses riches draperies. Dix valets de pied se tinrent, en grand deuil, à la tête des chevaux. MM. Bertrand, en uniforme de lieutenant-général, avec le grand-cordon de la Légion-d’Honneur ; Gourgaud, portant l’habit de lieutenant-général d’artillerie ; de Las-Cases, celui de député ; Marchand, celui de lieutenant de la garde nationale de Paris, prirent les glands des cornières. Un coup de canon donna le signal du départ. L’eau tombait toujours par torrents. Le convoi se mit en marche[1].

Le capitaine Alexander donnait les ordres. Le chemin par lequel on sort de la vallée, espèce de rampe escarpée, offrait quelques difficultés ; aussitôt les artilleurs mirent eux-mêmes la main aux roues. Enfin on arriva sans accident sur le plateau ; là le cortége était attendu par toute la milice de l’île et par le bataillon du 91e. La frégate qui avait répondu au premier coup de canon, alternait de minute en minute avec les forts de Sainte-Hélène ; la milice et le 91e prirent la tête du cortége ; la musique, fifres, flûtes, tambourins, se plaça derrière ces détachements. On reconnut bientôt la nécessité de hâter le pas pour arriver avant la nuit. A mesure que le cortége descendit, la pluie s’affaiblit sensiblement ; on put voir ensuite, par quelques anfractuosités du sol, que plus loin le temps était parfaitement pur. On marchait depuis plus d’une heure à travers les sapins et les mélèzes. La vue était sans cesse masquée, mais tout à coup la route tourna et laissa voir la mer et son immensité, : on apercevait dans la rade quinze bâtiments de guerre ou de commerce, vergues apiquées, pavillons à mi-mat, en signe de deuil, et au milieu

  1. Voir, pour le détail du cérémonial, l’acte d’exhumation et de remise des restes de Napoléon (Appendice).