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rejoint quelques instants après, dans la pièce voisine, où il nous annonce qu’il a administré le viatique à l’Empereur.

La fièvre se renouvelle avec violence. Anxiété générale. Face hippocratique. Napoléon jouit encore de l’usage de ses sens. Il recommande à ses exécuteurs testamentaires, dans le cas où il viendrait à perdre connaissance, de ne permettre de l’approcher à aucun médecin anglais autre que le docteur Arnott. « Je vais mourir, vous allez repasser en Europe, je vous dois quelques conseils sur la conduite que vous avez à tenir. Vous avez partagé mon exil, vous serez fidèles à ma mémoire, vous ne ferez rien qui puisse la blesser. J’ai sanctionné tous les principes ; je les infusés dans mes lois, dans mes actes, il n’y en a pas un seul que je n’aie consacré. Malheureusement les circonstances étaient sévères ; j’ai été obligé de sévir, d’ajourner ; les revers sont venus, je n’ai pu débander l’arc, et la France a été privée des institutions libérales que je lui destinais. Elle me juge avec indulgence, elle me tient compte de mes intentions, elle chérit mon nom, mes victoires ; imitez-la, soyez fidèles aux opinions que nous avons défendues, à la gloire que nous avons acquise ; il n’y a hors de là que honte et confusion. »

Un ordre du gouverneur nous enjoint de tenir une consultation avec les docteurs Schort et Mitchell.

On lui administre dix grains de calomel.

L’Empereur prend quelques cuillerées de sabaillon, il ne peut les avaler sans eau. Calme fréquemment interrompu.

Les dix grains de calomel n’ont encore produit aucun effet ; on délibère si on doit en administrer une nouvelle dose. Je ne garde plus de mesure, je m’oppose formellement à cette détermination.

4. — Les mêmes symptômes ont duré pendant toute la nuit. L’Empereur n’a pris de l’eau de fleur d’orange qu’en petite quantité et à des intervalles éloignés. Le temps était affreux, la pluie tombait sans interruption, et le vent menaçait de tout détruire. Le saule[1] sous lequel Napoléon prenait habituellement le frais avait cédé ; nos plantations étaient déracinées, éparses ; un seul arbre à gomme résistait encore, lorsqu’un tourbillon le saisit, l’enlève et le couche dans la boue. Rien de ce qu’aimait l’Empereur ne devait lui survivre.

Le malade refuse de prendre aucun remède à l’intérieur. Rire sardonique. Yeux fixes. Pupilles élevées ; on distinguait la partie inférieure

  1. Cette espèce est connue à Sainte-Hélène sous le nom de Botany-Bay.