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Napoléon se lève deux fois dans le courant de la journée, mais avec beaucoup de peine et reste peu de temps debout.

Le malade prend un bouillon avec des croûtes de pain rôti et un peu de gélatine. Il passe assez tranquillement le reste de la soirée ; il goûte même quelques instants de sommeil.

15. — L’Empereur a passé une mauvaise nuit ; il est assoupi, couvert de sueurs froides ; il éprouve un froid universel. La respiration est courte, profonde, et donne souvent lieu à des soupirs prolongés.

Pendant la nuit, le malade prend à diverses reprises un peu de gélatine et une cuillerée de vin étendu d’eau.

Le malade prend une soupe de vermicelle.

L’Empereur prend du chocolat, le pouls devient plus régulier.

L’entrée de l’appartement de l’Empereur est interdite à tout le monde, excepté au général Montholon et à Marchand, qui restent auprès de lui jusqu’à six heures. J’entre. Le tapis est couvert de papiers déchirés ; tout est étiqueté, muni d’une adresse. Napoléon a fait le recensement de son nécessaire et donné à chacune des pièces qui le composent une destination spéciale. « Voilà mes apprêts, docteur ; je m’en vais, c’en est fait de moi. » Je lui représentai qu’il avait encore bien des chances ; que son état n’était pas désespéré ; il m’arrêta. « Plus d’illusion, me dit-il ; je sais ce qui en est, je suis résigné. »

L’Empereur se plaint, dans la soirée, d’une extrême faiblesse ; il est fatigué ; il a trop écrit.

16. — L’Empereur a passé une nuit assez tranquille, quoiqu’il ait été constamment couvert de sueurs. Quoique l’illustre malade continue à prendre de la nourriture, les forces s’éteignent à vue d’œil.

La porte de son appartement est de nouveau interdite ; le général Montholon et Marchand restent avec lui jusqu’à cinq heures. J’entre : je trouve Napoléon accablé, je laisse percer mon inquiétude. « C’est que je me suis longtemps occupé ; j’ai trop écrit. » Et portant la main sur l’hypocondre droit et la région épigastrique : « Ah ! docteur, quelle souffrance ! quelle oppression ! Je sens à l’extrémité gauche de l’estomac une douleur qui m’accable. »

Le malade passe le reste de la soirée dans un état d’agitation et de somnolence qu’il ne peut vaincre ; je cherche à le soulager, il s’y refuse ; je lui présente la potion, il l’éloigne, retourne la tête et me dit : « Il faut vous marier, je veux vous marier, docteur. — Moi, Sire ! — Vous. » Je ne savais où il voulait en venir, j’attendais ; il reprit : « Vous êtes trop bouillant, trop vif, vous avez besoin d’un calmant.