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L’Empereur demande du papier, une écritoire, el défend son appartement. MM. Montholon et Marchand entrent seuls.

Napoléon prend un peu de gélatine et quelques cuillerées de soupe d’arrow-root. La fièvre continue toujours avec des rémittences et des paroxysmes très-irréguliers. Le malade dit qu’il devient de jour en jour plus faible, et qu’il sent que toutes ses forces l’abandonnent

14. — L’Empereur a passé une fort mauvaise nuit. — La fièvre a diminué.

Le malade prend du thé acidulé avec du suc de citron ; à huit heures du chocolat ; à neuf heures un peu de gélatine ; à neuf heures et demie une soupe faite avec du vin chaud et des croûtes de pain rôti ; enfin, à dix heures un quart, il mange deux gaufres.

Midi. — Les symptômes morbifiques se sont adoucis, et le malade est d’assez bonne humeur ; il prend encore une soupe au vin chaud, et reçoit de la manière la plus aimable le docteur Arnott ; il lui expose les sensations qu’il éprouve, le questionne, l’interroge sur ce qu’il doit faire, et, passant tout à coup de la médecine à la guerre, il se met a discourir sur les armées anglaises, les généraux qui les ont commandées, et fait un magnifique éloge de Marlborough. Napoléon était mieux ; je renaissais à l’espérance. Je ne fus pas maître d’un mouvement de gaieté : il s’en aperçut, me jeta un coup d’œil et poursuivit : « Ce n’était pas un homme étroitement borné à son champ de bataille ; il négociait, combattait ; il était à la fois capitaine et diplomate. Le 20e a ses campagnes ? — Je ne le pense pas. — Eh bien ! j’en ai là un exemplaire que je suis bien aise d’offrir à ce brave régiment. Prenez-le, docteur ; vous le placerez de ma part dans sa bibliothèque. » Le docteur le prit et se retira. « Qu’aviez-vous donc ? me demanda Napoléon dès que nous fûmes seuls. — Rien, un souvenir, la chanson de Malbrouck, dont j’ai été bercé dans mon enfance, m’est revenue à la mémoire ; je fusse parti d’un éclat, si je n’eusse été en présence de Votre Majesté. — Voilà pourtant ce que c’est que le ridicule ; il stigmatise tout jusqu’à la victoire. » Il riait lui-même et se mit à fredonner le premier couplet. Nous prenions Marlborough au plaisant ; Son Excellence n’était pas si facile : elle l’aperçut sous le bras du docteur, ne voulut pas qu’il communiquât avec le 20e. Arnott, tout confus, se hâta de le déposer chez l’officier d’ordonnance, qui était capitaine de ce régiment. Moins méticuleux, celui-ci le reçoit. Cette inconvenance révolte Hudson ; il accourt, menace, destitue : le capitaine est remplacé. Il le méritait bien, il avait accepté l’ouvrage.