Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/814

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sions étaient inexactes, les chiffres mal placés ; je ne les avais pas rétablis que Napoléon me fit appeler. J’allai, je le trouvai, au milieu d’un amas de volumes épars, qui lisait Polybe. Il ne me dit rien d’abord, continua de parcourir l’ouvrage qu’il avait dans les mains, le jeta, vint à moi, me regarda fixement, et me prenant par les oreilles : « Eh bien ! dottoraccio di Capo-Corso, vous avez vu la cassette ? — Oui, Sire. — Médité le système de Gall ? — A peu près. — Saisi ? — Je le crois. — Vous êtes à même d’en rendre compte ? — Votre Majesté en jugera. — De connaître mes goûts, d’apprécier mes facultés en palpant ma tête ? — Et même sans la toucher. (Il se mit à rire.) — Eh bien, nous en causerons plus tard, quand nous n’aurons rien de mieux à faire. C’est un pis aller qui en vaut un autre. Que pensait Mascagni de ces rêveries germaniques ? — Mascagni aimait beaucoup la manière dont Gall et Spurzheim développent et rendent sensibles les diverses parties de la cervelle ; il avait lui-même adopté cette méthode qu’il jugeait éminemment propre à faire bien connaître ce viscère intéressant. Quant à la prétention de juger sur les protubérances, des vices, des goûts et des vertus des hommes, il la regardait comme une fable ingénieuse qui pouvait séduire les gens du monde, et ne soutenait pas l’examen de l’anatomiste. — Voilà un homme sage ; un homme qui sait apprécier le mérite d’une conception, l’isoler du faux dont la surcharge le christianisme : je regrette de ne l’avoir pas connu. Corvisart était grand partisan de Gall ; il le vantait, le protégeait, fit l’inimaginable pour le pousser jusqu’à moi ; mais il n’y avait pas sympathie entre nous. Lavater, Cagliostro, Mesmer, n’ont jamais été mon fait ; j’éprouvais je ne sais quelle espèce d’aversion pour eux, je n’avais garde d’admettre celui qui les continuait parmi nous. Tous ces messieurs sont adroits, parlent bien, exploitent ce besoin du merveilleux qu’éprouve le commun des hommes, et donnent l’apparence du vrai aux théories les plus fausses. La nature ne se trahit pas par ses formes extérieures. Elle cache, elle ne livre pas ses secrets. Vouloir saisir, pénétrer les hommes par des indices aussi légers est d’une dupe ou d’un imposteur, ce qu’est au reste toute cette tourbe à inspirations merveilleuses, qui pullule au sein des grandes capitales. Le seul moyen de connaître ses semblables est de les voir, de les hanter, de les soumettre à des épreuves. Il faut les étudier longtemps, si on ne veut pas se méprendre. Il faut les juger par leurs actions : encore cette règle n’est-elle pas infaillible, et a-t-elle besoin de se restreindre au moment où elles agissent ; car nous n’obéissons presque jamais à