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ne m’abuse plus, la vie m’échappe, je le sens ; c’est pour cela que je renonce aux médicaments. »

7. — L’Empereur est moins faible que les jours précédents. Il était debout, négligé ; je le priai de prendre soin de lui-même : il se mit à sa toilette. « Quand j’étais Napoléon, me dit-il d’un ton pénétré, je la faisais promptement et avec plaisir ; mais aujourd’hui, qu’ai-je à faire d’être bien ou mal ? Cela me coûte d’ailleurs plus de fatigue que je n’en éprouvais à disposer un plan de campagne. Allons, cependant. » Et il se fit la barbe, mais par temps, par intervalles ; il fut obligé de se reprendre bien des fois. Il acheva enfin, se mit au lit, et n’en sortit pas de la matinée.

10. — L’Empereur a passé une nuit fort agitée. Il n’a pu fermer l’œil ; il est extrêmement faible. Il tenait un paquet de journaux à la main ; je craignais la fatigue, je lui en fis l’observation. « Non, docteur, c’est une scène de gaieté ; j’en suis au dévouement du roi de Naples pour le régime constitutionnel. Tous ces légitimes sont d’une bénignité que rien n’égale. Ce Maccaronaio voulait aussi me donner le change, venir à Rome, et nous susciter une guerre de religion ; je pénétrai sa manœuvre, je lui notifiai qu’il eût à rester dans ses États ; il se le tint pour dit. Mais les prédicants, les madones allaient d’autant mieux ; les sept communes couraient aux armes, il devenait urgent d’arrêter la croisade. Sévir ? la légende est déjà assez volumineuse : je ne me souciais pas d’envoyer ces mutins au ciel, je les fis prêcher. Je chargeai Joubert de cette affaire. Exigez, lui dis-je, de l’évêqne de Vicence qu’il envoie des missionnaires dans ce pays-là pour leur prêcher tranquillité, obéissance, sous peine de l’enfer. Faites venir chez vous les missionnaires, donnez-leur quinze louis à chacun, et promettez-leur-en davantage au retour. Vous verrez que tout sera bientôt calmé. En effet, dès que les hommes de Dieu furent aux prises, la population étonnée, incertaine, ne se soucia plus de guerroyer. »

11. — La nuit a été moins mauvaise, Napoléon se trouve mieux ; son humeur est moins sombre, son pouls plus naturel.

12. — L’Empereur est moins bien.

Milady Holland avait fait un envoi de livres dans lesquels se trouvait une cassette renfermant un buste en plâtre, dont la tête était couverte de divisions, de chiffres qui se rapportaient au système craniologique de Gall : « Voilà, docteur, qui est de votre domaine ; prenez, étudiez cela, vous m’en rendrez compte. Je serais bien aise de savoir ce que dirait Gall s’il me tâtait la tête. » Je me mis à l’œuvre ; mais les divi-