Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/812

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

2. — L’Empereur a fort bien passé la nuit ; il sort deux fois en calèche ; il se trouve assez bien et se plaît à revenir sur une foule de détails, de circonstances qui peignent la tendresse qu’il porte à Marie-Louise. « Ses couches furent excessivement pénibles, et, je puis le dire, c’est en grande partie à mes soins qu’elle doit la vie. Je reposais dans un cabinet voisin ; Dubois accourut et me fit part du danger. Il était effrayé, l’enfant se présentait mal, il ne savait où donner la tête. Je le rassurai ; je lui demandai s’il n’avait jamais rien vu de semblable dans les accouchements qu’il avait faits. — Oui, sûrement ; mais une fois sur mille. N’est-il pas affreux pour moi que ce cas si extraordinaire soit précisément celui qui a eu lieu pour l’impératrice. — Eh « bien ! oubliez la dignité et traitez-la comme une boutiquière de la rue Saint-Denis : c’est tout ce que je vous demande. — Mais puis-je apposer les fers ? Si de nouveaux accidents arrivent, lequel dois-je sauver ? la mère ou l’enfant ? — La mère : c’est son droit. Je me rendis auprès d’elle ; je la calmai, je la soutins ; elle fut délivrée, l’enfant prit vie. Le malheureux !… » Napoléon s’arrêta ; je respectai son silence et me retirai.

3. — L’Empereur se promène à deux reprises en calèche.

A. — Napoléon essaye deux fois de monter en calèche, mais il est obligé bientôt de se mettre au lit.

La conversation s’est ouverte sur les beaux-arts. Un des interlocuteurs faisait assez peu de cas de la musique. « Vous avez tort, lui a dit l’Empereur ; c’est de tous les arts libéraux celui qui a le plus d’influence sur les passions, celui que le législateur doit le plus encourager. Une cantate produit plus d’effet qu’un ouvrage de morale. »

5. — L’Empereur a passé la nuit assez tranquillement, quoiqu’il n’ait presque point dormi ; il est livide, ne présente plus que l’aspect d’un cadavre.

6. — La nuit a été assez bonne. L’abattement est extrême. L’Empereur témoigne sur le soir l’envie de manger. On lui sert deux côtelettes d’agneau ; il me les fait goûter, me demande si elles sont nutritives, de digestion facile, et quand il m’a adressé toutes les questions d’usage, il y goûte et les laisse là. « Que vous en semble, docteur ? n’est-ce pas une bataille perdue ? — Gagnée, Sire, pour peu que Votre Majesté le veuille. — Comment cela ? des remèdes ? — Mais — Chacun se bat avec ses armes ; c’est bien, docteur, j’aime votre ténacité. — Votre Majesté est donc d’intelligence avec la latitude ? — Je