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lieu de délices, je ne l’échangerais pas pour tous les trônes du monde. Quel changement ! Combien je suis déchu ! moi, dont l’activité était sans bornes, dont la tête ne sommeillait jamais ! Je suis plongé dans une stupeur léthargique, il faut que je fasse un effort lorsque je veux soulever mes paupières. Je dictais quelquefois, sur des sujets différents, à quatre, cinq secrétaires, qui allaient aussi vite que la parole ; mais alors j’étais Napoléon, aujourd’hui je ne suis plus rien ; mes forces, mes facultés m’abandonnent ; je végète, je ne vis plus. »

20. — L’Empereur est plongé dans une tristesse profonde ; il ne prononce pas une parole.

21, 22. — L’Empereur paraît toujours livré à la même mélancolie.

28. — L’Empereur est extrêmement abattu ; il se plaint d’un violent mal de tête, d’une douleur gravative au foie, c’est son expression ; il prend de la nourriture, se trouve un peu mieux.

Il est sorti en calèche ; mais après avoir fait avec beaucoup de lenteur un tour de promenade dans le parc, il a été atteint de violentes nausées, et bientôt après il a rendu tous les aliments qu’il avait pris.

29. — L’Empereur est atteint, immédiatement après son repas, d’une toux sèche extrêmement fatigante. Il attribue cet accident à l’usage des pilules, et profite de cette occasion pour les proscrire entièrement.

30. — L’Empereur se trouve dans le même état qu’hier. Il refuse de faire usage d’aucun remède, il renonce au bain. J’essaye de combattre cette résolution. « Que voulez-vous que j’en espère ? quel bon effet puis-je en attendre ? docteur, rien d’inutile. »

1er décembre. — L’Empereur est un peu mieux, et fait de l’exercice en calèche. Je cherche à réveiller ses souvenirs, je lui parle de l’effet que produisit son retour d’Égypte. « Il est vrai, me dit-il, qu’il fut incalculable ; il rendit la confiance aux troupes, et l’espérance aux généraux qui, jugés, destitués, battus, n’aspiraient qu’à venger leurs défaites, et à échapper au joug ignominieux d’une poignée d’avocats qui perdaient la France. Je leur apparaissais comme le Messie ; chacun bénit mon arrivée ; mais celui de tous à qui elle fut le plus agréable, parce que c’était celui qu’affectaient le plus les malheurs de la patrie, fut Championnet. »

7. — L’Empereur est bien. Il s’est occupé pendant deux heures d’un travail sérieux, sans en ressentir la moindre incommodité. Comme le temps était beau, il a voulu faire un tour dans le parc en calèche découverte ; mais il a été frappé par le soleil, il est rentré extrêmement fatigué et avec une forte douleur de tête.