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trine devint douloureuse, la toux continuelle, la respiration pénible. Le Premier Consul était maigre, pâle, défait, semblait toucher au terme de sa carrière. « Mes alentours m’obsédaient, ne cessaient de me faire des représentations sur mon insouciance ; mais elle ne nuisait pas à la marche des affaires ; je laissais dire. A la fin, cependant, les sollicitations devinrent si pressantes, que je consentis à prendre les conseils d’un médecin. On me proposa Desgenettes. Tout choix était bon, j’acceptai ; mais le parleur me fit une si longue dissertation, me prescrivit tant de remèdes, que je restai convaincu que l’adepte était un discoureur, et l’art une imposture ; je ne fis rien. Les obsessions recommencèrent, je cédai ; on m’amena Corvisart. Il était brusque, impatient, bourru. Je ne lui avais pas rendu compte de ma situation, qu’il me dit : « Ce que vous avez n’est rien ; c’est une éruption rentrée qu’il faut rappelér à l’extérieur. Quelques jours de vésicatoires suffiront. » Il m’en appliqua deux sur la poitrine, la toux disparut. Je repris de l’embonpoint, de l’énergie, et fus à même de supporter les plus rudes fatigues ; la sagacité de Corvisart me charma. Je vis qu’il avait pénétré ma structure ; que c’était le médecin qui me convenait. Je me l’attachai, et le comblai de biens. Il me fit plus tard un cautère au bras gauche ; mais la guerre d’Espagne éclata, je le laissai fermer, et ne m’en trouvai pas plus mal. L’irritation, la démangeaison continuèrent à se faire sentir comme à l’ordinaire. Je me fis de nouvelles blessures ; il se forma d’autres cicatrices, je retrouvai ma santé de fer. »

L’Empereur reposait, se baignait, se promenait : c’était le train ordinaire de la vie. Je l’accompagnais au jardin. Il m’entretenait de ses campagnes ; je lui parlais de la Corse. Un jour qu’il s’était beaucoup étendu sur les agitations de ce malheureux pays, il me fit le tableau des services de Cervoni, des fournitures d’Aréna, de ses exactions, de ses intrigues. « Mon retour inopiné d’Égypte le déconcerta ; les prisons étaient pleines, les partis en présence, la patience publique à bout. L’autorité municipale accusait le département ; celui-ci les magistrats. Ce n’était qu’exaspération et désaccord. Les vents nous poussaient loin des côtes de France ; nous nous réfugiâmes dans les eaux de la Corse ; nous atteignîmes Ajaccio ; nous mouillâmes dans la rade. Les corps, la population, accoururent aussitôt sur le rivage ; chacun veut me voir, demande que je débarque ; les acclamations croissaient d’heure en heure ; les meneurs étaient sur braise. Ils se roidirent cependant ; la santé s’assembla et décida, après une longue discussion, que je ne pouvais descendre. « Témoignez-lui, du moins, combien cette mesure vous