Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/770

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pittoresque en effet. Une centaine pe cabanes de pierre et de boue qui courent dans le fond d’un ravin, des corps de garde, un hôpital, une église à l’avenant ; le tableau est romantique. — Mais Plantation-House ? — C’est l’oasis du désert. Elle est adossée à une chaine de montagnes. Les vents du sud-est ne la dessèchent pas. Les plantes, les arbustes les plus opposés s’y plaisent. Ils croissent, se développent, étalent une végétation qu’on n’aperçoit pas ailleurs. Elle est unique dans son espèce comme le Calabrais qui l’habite. — Il y a des lieux plus tristes encore. — Non, il n’y en a pas comme celui où nous sommes. Point d’ombre, point de verdure. Nous n’avons que quelques arbres à gomme, encore sont-ils mutilés ; le vent les a pliés dans le sens de sa direction. Plus de végétation, plus de vie à cette hauteur (deux mille pieds). La magnanimité britannique avait des motifs pour m’y jucher. On ne l’ignorait pas. L’homme finit vite où les plantes s’étiolent : c’est un calcul qui n’a pas échappé. Ne sait-on pas le temps qu’on use à Sainte-Hélène ? y connait-on des vieillards ? y trouve-t-on beaucoup d’individus qui atteignent cinquante ans ? Chaque aspiration est un coup d’épingle qui concourt au trépas. Et voilà ce que la noble Angleterre se proposait dans la manière neuve dont elle consomme l’assassinat. »

31. — L’Empereur était agité, inquiet. Je lui donnai quelques conseils. « Merci, docteur, le moment approche, je sens que la nature vient à mon secours. » Il se laisse couler sur un siége, saisit sa cuisse gauche, et la déchire avec une espèce de volupté. Les cicatrices s’ouvrent, le sang jaillit. « Je suis soulagé ; je vous l’ai dit, j’ai mes crises. Dès qu’elles arrivent je suis sauvé. » Cette espèce de lymphe, qui sortait d’abord avec abondance, cessa bientôt ; la plaie se ferma et s’étancha d’elle-même. « Vous le voyez, me dit Napoléon, la nature en fait tous les frais ; dès qu’il y a du trop plein elle le rejette, et l’équilibre se rétablit. » Ce fait singulier excita ma curiosité ; j’en recherchai toutes les circonstances, et j’appris qu’il était régulier, périodique, qu’il datait du siége de Toulon. L’Empereur, qui n’était alors que colonel, échauffait le feu d’une batterie. Un canonnier tombe à ses côtés. Il s’empare du refouloir, charge, sue, aspire la gale dont le mort était couvert. Il se soumet à un traitement ; mais l’impatience de la jeunesse, l’activité du service, un coup de baïonnette qui le frappe au-dessus du genou, le lui font bientôt abandonner. L’éruption rentre, l’humeur s’échappe et prend son cours à travers la blessure. Cette négligence faillit lui devenir fatale. Le virus se développa pendant les campagnes d’Égypte et d’Italie. La poi-