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mal attaquée ; il la travaillait par la Perse ; ce n’était pas par là qu’il fallait aller ; mais les aventuriers qu’il avait lancés dans ces parages avaient pactisé avec les présidences, livré les nababs, il ne voulait plus d’eux. J’eus quelque temps dessein de faire passer deux ou trois milliers de chouans sur la Jumna. Ils le sollicitaient, demandaient Bourmont pour chef. J’eusse fait sagement d’y consentir. Le sang français est toujours bon en face de l’étranger, j’eusse été débarrassé de ces vieux habitués de discordes, je n’en eusse pas sottement traîné à Waterloo ; un grand désastre n’eût pas eu lieu ; mais on obéit à son étoile, on ne lui commande pas. J’ai montré à la France ce qu’elle pouvait, qu’elle l’exécute ! »

27. — L’Empereur a passé une mauvaise nuit.

« Docteur, comment me trouvez-vous ? suis-je mieux ? » Il lisait, me présentait son bras. « Votre Majesté n’est pas plus mal. — C’est que les pilules…… (La boite était ouverte, il n’en avait pas pris.) — « Elles ont leur efficacité. — Sans doute, elles ont toutes les vertus du monde, me dit-il en jetant le livre. Mais, docteur, vous prêchez les pilules avec plus d’onction qu’on ne parle aujourd’hui de légitimité ; en prenez-vous vous-même ? » Je riais. — « C’est bien, à vous la harangue et la drogue au malade, n’est-ce pas ? Tenez, laissons vos remèdes ; la vie est une forteresse où ni vous ni moi ne voyons rien ; n’entravons pas sa défense, ses moyens valent mieux que les nôtres. Corvisart en convenait. »

Je cherchais à le combattre, j’étais sérieux, j’envisageais toutes les conséquences que ses opinions pouvaient avoir. « Vous êtes soucieux, docteur ; qu’avez-vous ? Ai-je saisi le défaut de la cuirasse ? — Sire, il y a des médicaments éprouvés. — Comme ceux que Corvisart donnait à l’impératrice : des pilules de mie de pain, qui opéraient cependant merveille. Marie-Louise m’en vantait les bons effets. — Non, Sire. Les faits… — Sont visibles et les causes cachées. Je suis des vôtres ! j’ai exercé. — Vous, Sire ? — Moi ! — Au moins Votre Majesté ne prescrivait pas de remèdes.— Comment donc ! et la dignité ! J’eusse passé pour un intrus. — Vous les choisissiez ? Ils n’étaient pas désagréables à prendre. — Quelquefois. Cependant, je ne puisais pas dans les pharmacies. L’eau, l’air, la propreté formaient le fond de mon dispensaire. Vous riez de ma méthode. Vos confrères en riaient aussi en Égypte, mais l’expérience fit voir que ma flanelle et ma brosse valaient mieux que leurs pilules. Nous étions décimés par la peste et l’assassinat. Les Arabes massacraient mes soldats, les médecins refusaient de les se-