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27. — L’Empereur a passé une nuit assez agitée, il a lu pendant plusieurs heures, et se plaint de douleurs vagues dans l’abdomen.

L’humidité était excessive dans les deux pièces ; elle attaquait, détruisait tout ; le mauvais nankin qui servait de tapisserie tombait en lambeaux, nous le remplaçâmes. Nous achetâmes de la mousseline, nous l’ornâmes, nous la couvrîmes des beaux oiseaux d’Égypte dont nous avions une collection peinte sur papier : nous réussîmes à présenter quelques images riantes à l’Empereur. Nous groupâmes nos dessins, nous les disposâmes autour d’une aigle qui devait les protéger, les gouverner, leur servir de guide. Napoléon sourit à la vue de ce symbole de la victoire. « Chère aigle, elle serait encore en plein vol si ceux qu’elle couvrait de son aile n’eussent arrêté son essor. »

En rentrant chez moi, je trouvai une invitation du gouverneur. Il avait ouï parler des planches anatomiques que j’avais apportées, il désirait les voir. Je les lui communiquai. Il les parcourut, passa, revint de l’une à l’autre. Je crus démêler dans l’empressement avec lequel il déroulait ces feuilles je ne sais quelle préoccupation qui m’inquiéta. Je m’alarmais à tort. Son excellence s’était subitement éprise de physiologie.

28. — L’Empereur se trouve un peu mieux. Je lui prescris, comme la veille, un bain et de l’exercice.

« Vous étiez encore dans vos draps, docteur, que j’exécutais déjà votre « ordonnance. Je me suis levé à la petite pointe du jour, je me suis promené, j’ai respiré le frais, et me voilà épluchant quelques idées qui me sont survenues au sujet d’une opération où mes ordres furent mal exécutés. » Napoléon se trouvait debout. Son costume consistait en une robe de chambre blanche, un large pantalon blanc à pieds, des pantoufles rouges, un madras autour de la tête, point de cravate ; le col de la chemise ouvert. J’examinais cette singulière toilette, il s’en aperçut. « Ah ! ah ! me dit-il, je vois ce qui vous occupe. » Et il se prit à rire ! — Il ajouta : « Pour vous punir de votre irrévérence envers ma toilette, je défends d’ici à demain la porte à vos drogues. J’ai quelques calculs algébriques à développer. »

29. — L’Empereur est tout à fait abattu. Il se plaint d’une douleur profonde dans le foie. Il continue de lire et ne consent qu’avec peine à faire quelque exercice. Il se met au bain.

Le tapis était couvert de livres. Il y en avait autour du lit, dans le milieu de la place, près des murs ; je ne savais comment ils se trouvaient ainsi pêle-mêle ; je demandai la cause de ce désordre. « C’est que l’Empereur a lu toute la nuit. — Eh bien ? — Quand il a envie de lire, il cou-