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complaire à outrager sans raison son inférieur et s’abriter dans les prérogatives du grade ! Son intention était d’exciter de notre part l’éclat d’une juste indignation, pour pouvoir ensuite, la loi, la lettre de la loi à la main, vous écraser, vous faire fusiller. Il est comme un homme dévoré par une lèpre invétérée ; il faut qu’il se frotte violemment à tout. Soyez prudent, car votre situation est périlleuse ; je ne vois d’autre parti à suivre que le silence absolu. Allez, quand il vous demande, écouter ce qu’il a à vous dire ; répondez si ses questions n’ont pas uniquement votre profession pour objet : je ne sais pas ; ce n’est pas là mon affaire. »

2. — Nouvelles interrogations du gouverneur. Même silence.

23. — Le pauvre Cipriani est atteint d’une inflammation d’entrailles : les caractères en sont effrayants. Les remèdes ordinaires lui ont été appliqués, mais sans résultat. Cipriani juge très-bien que sa vie est en péril ; malgré cela il est calme. Napoléon, qui aime en lui un bon serviteur et un compatriote, est fort affecté de sa maladie.

25. — Cipriani n’éprouve pas de mieux ; on lui a donné des aliments, mais son estomac épuisé les a gardés. Je vais souvent voir l’Empereur pour lui rendre compte de l’état de son fidèle serviteur : il m’a envoyé chercher à minuit ; je lui ai appris que le malade était comme anéanti. « Mais si j’allais voir mon pauvre Cipriani, peut être que je stimulerais en lui la nature endormie, cela lui donnerait des forces pour lutter contre le mal et peut-être même pour le vaincre. » Je l’ai dissuadé ; cette émotion le tuerait. Mes raisons ont convaincu Napoléon.

A dix heures du matin, les symptômes se sont montrés mortels. A quatre heures, le bon Cipriani avait expiré ; l’Empereur le regrette vivement. Cipriani possédait de l’esprit naturel, quelques talents, mais son éducation était nulle. Il était fin, adroit, sous des formes simples et franches, nous avons tous connu ses excellentes qualités. l1 était généreux, humain, ami dévoué et ennemi animé. Républicain par principes, il montra beaucoup d’attachement à l’Empereur depuis sa chute. La confiance de Napoléon en lui était sans bornes. L’Empereur pensait que s’il avait eu quelque instruction, il aurait joué un rôle dans la révolution.

Cipriani a été enterré aujourd’hui. Les généraux Bertrand, Montholon, Gourgaud, ont accompagné ses restes jusqu’à leur dernière demeure. La maison tout entière et les principaux habitants de l’île, les officiers du 66e régiment, suivaient aussi le convoi. Si on avait pu l’en-