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Je dis à Napoléon que j’étais étonné que Barrère eût échappé à toutes les vicissitudes révolutionnaires : « Parce que Barrère n’avait pas de caractère à lui ; c’était un homme qui changeait de parti à volonté, qui les servit successivement tous. Je me suis servi de sa plume sans beaucoup d’effet. Il employait les fleurs de la rhétorique ; mais ses raisonnements n’avaient aucune solidité, rien que coglionerie enveloppées dans des termes élevés et sonores. »

C’est de Sieyès qu’il m’a parlé ensuite. « Après le 18 brumaire, j’eus avec cet homme d’esprit un long entretien sur la situation générale de la France, sur la tâche que je me faisais d’avance. Sieyès, en me quittant, alla souper chez quelques chauds républicains. Il leur dit en arrivant : « Il n’y a plus de république ! Un seul homme va tout remplacer. Ce n’est pas seulement un grand général, c’est encore un homme d’État, capable de tout voir, de tout embrasser, de diriger les affaires générales. Ses connaissances sont immenses, sa raison supérieure. Il n’a besoin ni de conseillers ni d’appui. La politique, les lois, l’art de gouverner lui sont aussi familiers que le commandement d’une armée. Il est jeune et déterminé. La république a cessé d’être avec ce chef-là. » Les républicains furent émus. « Mais si c’est un tyran, il faudra le tuer. — Hélas ! mes amis, dit Sieyès, notre situation deviendrait encore plus fâcheuse ! »

L’Empereur a parlé de Fouché. « Il m’a dit qu’il n’avait jamais eu sa confiance. C’était un plat courtisan qui affectait une sorte d’adoration pour ma personne ; flatterie qui me touchait très-peu. Je me suis servi de lui contre les jacobins, mes ennemis ; il les surveillait, les dénonçait. J’en ai éloigné à peu près deux cents : c’étaient ses vieux collègues et amis. Il les trahit sans remords. Je n’ai jamais compté sur lui ; dans les solennités officielles, je ne permettais pas qu’il m’adressât le premier la parole. Je ne crois pas à la réalité de ses talents.

« Il n’en a pas été ainsi pour Talleyrand, qui, pendant beaucoup d’années, a connu toutes mes idées. Celui-là possède des talents supérieurs ; mais il est avide, méchant, corrompu.

« Sieyès a eu aussi ma confiance : c’est un homme de grand mérite ; il est probe ; c’est le contraire de Talleyrand. Il aime l’argent, je le reconnais, mais il est incapable de recourir, comme Talleyrand, à des moyens odieux pour augmenter sa fortune. »

1er septembre. — Le journal du Cap répète une nouvelle d’Europe, de laquelle il résulterait que la sœur de Napoléon, ancienne femme de Mural, a épousé le général Macdonald. Napoléon a refusé de croire à