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encore pour quatre mois d’approvisionnements. Ma réponse fut que je savais positivement qu’il n’avait pas pour trois jours de vivres, mais que j’avais une si haute idée de son courage et de ses talents, qu’il avait si brillamment défendu la place confiée à son épée, que j’étais prêt à signer à cause de lui et ses braves la capitulation la plus honorable. Découragé par l’exactitude de ces renseignements, et encouragé par ma générosité, il m’envoya ses propositions ; j’acceptai et m’éloignai, ne voulant pas jouir de l’humiliation de ce noble soldat. Wurmser ne me désignait jamais que sous le nom de jeune homme. Il était très-âgé, brave comme un lion, mais extrêmement sourd : il n’entendait plus siffler les balles auprès de lui.

« Je courus dans ce moment à la rencontre des troupes papales qui venaient de se révolter.

« Wurmser me sauva la vie quelques jours plus tard. En arrivant à Rimini, je reçus une lettre de lui ; un de ses courriers me l’apporta : il m’écrivait qu’on devait m’empoisonner, et il me nommait le lieu, le jour où cette entreprise devait se consommer. C’était à Rimini, et les auteurs du complot n’étaient rien moins que quelques canailles de prêtres. Ils auraient réussi, si je n’eusse pas été prévenu. Comme Fox, il avait l’âme noble ! »

J’ai fait part au gouverneur de la réponse que Napoléon m’avait chargé de lui porter. (Il est toujours question du buste.) Le gouverneur n’a pu l’entendre, sans s’exaspérer au plus haut degré[1], « Dites à Bonaparte, continua-t-il d’un ton de voix qui n’était rien moins que calme, que, pour prouver que je ne crains pas d’envoyer quelque message que ce soit en Angleterre, je suis résolu à faire passer au ministre le rapport qu’il vient de m’adresser. »

Lorsque je lui dis que l’Empereur avait dit à lord Amherst : « Je suppose que sir Lowe ne vous a pas appris que je ne puis quitter cette route, » le gouverneur à ces mots se leva avec fureur, et s’écria : « C’est faux ! je n’ai point donné cet ordre. » Je lui démontrai qu’il se trompait. Quand sa rage fut tombée, je lui fis observer qu’il n’était pas naturel qu’il fût étonné de la vivacité des plaintes de Napoléon. « Mettez-vous à sa place ; profiteriez-vous de la permission de monter à cheval, s’il fallait vous enfermer dans les restrictions que vous lui imposez ? »

M’ayant demandé, la conversation une fois adoucie, ce que je pensais

  1. Napoléon était si fortement frappé de l’idée qu’on essayerait de violer son asile, que peu de temps après le départ de sir Georges Cockburn, il avait toujours dans sa chambre quatre à cinq paires de pistolets chargés et quelques épées, dont il avait l’intention de faire usage pour se défaire du premier qui entrerait contre sa volonté.