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perfectionné tous les services de mon empire, enrichi et embelli la France ; j’aurais élevé mon fils, et écrit ma vie.

« Les clameurs des aristocrates dont j’ai été l’ennemi ne peuvent m’enlever la gloire de mes grands travaux publics en France, en Europe. J’ai fait ouvrir des routes pour traverser les Alpes, et j’ai réuni des mers. Aujourd’hui ils ne peuvent travailler au bien-être de leur pays sans revenir sur mes traces ; les peuples comparent. On ne peut m’enlever ce Code de lois que j’ai créées ; il passerait la postérité la plus reculée. »

Dans le même entretien, je lui dis que je venais de faire des recherches sur le nombre des vaisseaux français que nous avions pris avant sa proclamation de la détention des Anglais en France ; nous n’avions pu prendre que deux chasse-marées dans la baie de Quiberon. « Deux chasse-marées, reprit-il ; eh quoi ! il y a eu pour 70 millions de marchandises enlevées, environ deux cents bâtiments retenus, avant que je fisse cette proclamation ? Mais c’est ce que l’Angleterre a toujours fait. Dans la guerre de 1773, vous en avez agi de même, en nous donnant pour excellente raison que c’était votre usage. La grande querelle entre vous et nous est que je ne voulais pas vous permettre d’agir à votre guise en mer, ou au moins que je prétendais, dans ce cas, faire ce qu’il me plairait sur terre ; enfin, que je ne voulais pas recevoir la loi de vous. Peut-être en cela ai-je poussé les choses trop loin, j’ai pu me tromper ; mais j’ai dû, quand vous avez bloqué la France, bloquer l’Angleterre ; et ce n’était pas un blocus sur le papier, puisque je vous ai forcés à envoyer vos marchandises autour de la Baltique, et à occuper une petite île dans la mer du Nord, pour faire la contrebande. Vous avez dit que vous vouliez me fermer les mers, et moi j’ai dit que je vous fermerais la terre. Cela vous a réussi ; mais vous n’avez pas dû cette réussite à vous-mêmes, mais à des accidents inattendus par votre cabinet. Votre pays ne s’en trouve pas mieux, par la sottise de vos ministres qui ont agrandi la Russie.

« Les efforts de vos ministres pour détruire la liberté et mettre les Anglais dans les fers m’étonnent ; je vois là un changement dans l’esprit du gouvernement. Que les Russes et quelques peuples allemands soient traités ainsi, je n’en suis pas surpris : ces nations ne sont ni libérales, ni libres. Chez elles, la volonté du souverain a toujours tenu lieu de loi ; les esclaves obéissent, cela est conséquent. Mais que l’Angleterre soit traitée comme ces nations, je ne le conçois pas ; j’y vois l’envie, de la part de vos oligarques, d’abaisser ceux qui