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surtout le roi de Prusse, connaissaient parfaitement tous les détails sur la coupe et la confection d’un habit : combien de boutons devant et derrière, comment les revers doivent être taillés ; le roi de Prusse aurait pu lutter de connaissances avec le meilleur tailleur de mon armée :

« J’étais obsédé de questions futiles. Je n’y entendais pas un mot ; pourtant, pour ne pas les blesser, je répondais poliment, mais je dus leur paraître passablement ignorant sur tous ces points. J’allai voir un jour le roi de Prusse ; je trouvai qu’au lieu de bibliothèque il avait tout simplement une chambre grande comme un arsenal, pleine de tablettes, de clous. Ces derniers tenaient suspendus cinquante à soixante habits. Chaque jour, ce prince endossait un nouvel habit.

« C’est un homme grand, sec ; sa tournure et sa physionomie ont quelque chose d’étrange ; il paraissait attacher infiniment de prix à la coupe d’un uniforme de dragon. Et cependant il venait de perdre son royaume !

« A Iéna, l’armée prussienne, magnifique, nombreuse, exécuta les plus brillantes manœuvres ; mais je lui fis connaître, avec mes bandes, qu’il y a une grande distance entre parader avec des uniformes étincelants et se battre. »

18. — Le major Fehrzen est venu à Longwood. On lui a demandé pourquoi il ne visitait pas de temps en temps la famille Bertrand ; il a répondu que le gouverneur lui avait fait dire qu’il désirait qu’il n’existât d’autre communication qu’un salut entre les officiers du 53e régiment et les prisonniers.

Il nous a assuré que nous n’avions rien à craindre, que le 53e régiment n’aurait jamais d’assassins dans ses rangs.

Napoléon me dit qu’un jour l’Europe reconnaîtrait qu’il avait été dirigé par une haute raison et une prévoyante politique, en cherchant à reconstituer la Pologne en royaume indépendant, qu’il n’y avait pas d’autre moyen d’arrêter le progrès des Moscovites. « L’Europe sera un jour inondée par eux. Je ne vivrai pas assez d’années pour être témoin de cette effroyable invasion. Mais vous qui êtes encore jeune, vous la verrez : vous verrez la Russie conquérir l’Inde, ou entrer en Europe avec quatre cent mille Cosaques et tribus des déserts, et deux cent mille soldats russes. »

Venant aux projets de Paul sur l’Inde, l’Empereur continue : « Il me demanda un plan, je lui envoyai des instructions développées. » Et ici