Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/656

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lériens charmés de voir en moi un confrère. Que d’infamie le temps balaye ! Fox est le seul de vos hommes d’État qui ait souhaité sincèrement la paix ; les autres ont fourni des bâtiments pour débarquer des assassins ; ils leur ont même donné de l’argent : ne se sont-ils pas ainsi rendus complices de l’attentat ? »

Après avoir redemandé à l’Empereur s’il n’avait jamais eu la pensée d’être en réalité le maître de l’univers, il m’a répondu non ; et comme il a déjà fait, il a discuté pour démontrer que l’existence de cette souveraineté universelle était impossible. « La France, dit-il, a des bornes naturelles, je ne voulais pas les franchir ; mon objet était tout simplement de détruire la prédominance de l’Angleterre. Aujourd’hui vos ministres s’efforcent de diminuer le mérite de mes travaux civils. On va jusqu’à dire que je n’accordai le rappel des émigrés qu’aux intercessions de Joséphine ; mais qu’importent ces mensonges ! encore quelques années, il n’en restera plus de traces dans les esprits. Joséphine était assurément la meilleure des femmes, mais je ne lui laissais aucune influence sur ma politique. »

L’Empereur a reçu sir Pultney, lady Malcolm et trois capitaines. L’un de ces officiers paraissait très-étonné de trouver en Bonaparte un homme doux, très-poli, et de la conversation la plus spirituelle.

L’Empereur est revenu sur différents détails de la bataille de Waterloo. Le 15, à Charleroy, il avait battu les Prussiens avant que Wellington le sût ; il avait gagné quarante-huit heures de manœuvres sur lui, ce qui était un grand point ; si ses généraux eussent exécuté ses ordres comme autrefois, il aurait pu, sans donner bataille, surprendre l’armée anglaise dans ses cantonnements.

« Mes généraux pensaient qu’ils ne devaient rencontrer partout que des armées de cent mille hommes. Il y avait chez eux, dans ce moment, les craintes les plus exagérées. Attaché sans interruption par la diversité et l’immensité des affaires générales, je ne pouvais, malgré mon désir, prêter une attention plus longue aux détails des corps, je ne pouvais faire marcher moi-même les officiers supérieurs ; alors l’ensemble n’était plus le même ; ma pensée n’était plus exécutée avec confiance, énergie. Cette fois, en raison de ces difficultés que j’appréciais bien, j’avais compté racheter ces inconvénients par la rapidité des opérations générales ; j’avais compté surprendre mes adversaires et les battre partiellement. Je sus l’arrivée de Bulow à onze heures, mais je n’y fis pas attention ; j’avais en ma faveur quatre-vingts chances sur cent.