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l’éloignant du pouvoir ; à la première occasion, il n’aurait pas manqué de le trahir. Pendant les Cent-Jours, ne m’en a-t-il pas fait faire la proposition ? » Napoléon m’a dit ici :

« Pourquoi donc vos ministres ne font-ils pas des efforts directs pour opérer la séparation des colonies de l’Amérique méridionale espagnole, de la mère-patrie ? Vous trouverez, dans cette combinaison, l’occasion d’ouvrir avec les Américains du Sud un commerce très-étendu et très-lucratif. Si vous ne vous pressez pas, les Américains vous préviendront. Si vous commencez à présent, ils accepteront la concurrence : il faut que vous leur fermiez toute communication avec la France et avec l’Espagne.

« Si la guerre eût duré encore deux ou trois ans, la France serait arrivée au point de pouvoir se passer de colonies, par suite des primes que j’accordais à ceux qui appliquaient la chimie à la confection du sucre, surtout par le moyen de la betterave. Avec quelques perfectionnements de plus, j’aurais fait fabriquer du sucre qui n’eût pas coûté plus cher que par l’importation des Indes occidentales. Et le café ? les Français ne peuvent pas s’en passer. Je voulais le faire cultiver dans les départements du midi de la France. »

Le gouverneur a fait demandera Longwood, par lettre ministérielle, pourquoi, dans la dernière semaine, la consommation du poisson avait été dépassée de quatorze schellings. Il a trouvé aussi fort, mauvais l’emploi de quarante livres d’orge pour l’usage de madame la comtesse Bertrand. Il a défendu expressément cette générosité.

Il a fait d’autres observations sur les dépenses faites à Longwood pendant la quinzaine ; mais il y a de quoi mourir de honte et de dégoût.

Le gouverneur déclare le comte de Las Cases coupable d’impudence. Il a osé adresser aux prisonniers de Longwood, du cap de Bonne-Espérance, de l’huile de Florence, du vin de Madère !

L’Empereur m’a parlé ce matin des troubles qui agitent l’Angleterre. Il regarde la réduction des taxes comme urgente. « Il est impossible, a-t-il ajouté, qu’une nation consente à payer de sang-froid, en temps de paix, des impôts presque aussi forts que ceux qu’elle payait en temps de guerre. Il y a alors ce stimulant, cette irritation d’esprit, qui font regarder ces impôts comme nécessaires ; nul ne veut que son pays soit envahi par une armée étrangère. L’Angleterre est actuellement dans une fausse position ; il faut que quelque changement s’y opère. »

On m’avait dit que l’Empereur avait manqué de tomber dans les