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« Je ne vois aucun moyen de vous tirer du mauvais pas où vous êtes engagés, que de réduire l’intérêt de la dette nationale, de confisquer, au profit de l’État, la plus grande partie des revenus de l’Église, toutes les sinécures, et d’établir un système de réduction générale. Votre caisse d’amortissement est illusoire. Imposez une taxe sur les absents. Il est trop tard aujourd’hui pour revenir sur les traités de commerce. Ce que l’on eût regardé dans le temps comme juste serait considéré aujourd’hui tout différemment. »

1er mars. — Clarke, suivant l’Observer, aurait retenu la pension de Carnot. « Je m’étonne, m’a dit Napoléon, de voir vos journaux s’occuper autant de ce ministre qui n’est pas un homme de talent. C’est tout simplement un travailleur, un homme utile au bureau, incorruptible, économe des fonds publics, incapable de s’approprier un gain illicite ; si l’on veut encore, un rédacteur excellent et un général ridicule ; je ne crois pas qu’il soit jamais allé au feu. Il est infatué de sa noblesse, et dit descendre des anciens rois d’Écosse ou d’Irlande.

« Clarke, au retour de l’île d’Elbe, me fit offrir ses services, mais je lui fis répondre que je n’employais pas les traîtres ; je crois pourtant qu’il m’aurait bien servi si j’avais été le plus fort. »

Napoléon souffre moins, je l’ai trouvé très-gai ; il m’a entretenu du comte de Las Cases, que le gouverneur accuse toujours avec sa mauvaise foi habituelle. L’Empereur a demandé un verre de porter : « A votre santé, » m’a-t-il dit avant de boire. J’en bus un autre ; puis nous avons continué de causer. « Quelle idée vous formiez-vous de moi avant d’être mon médecin ? Que pensiez-vous de ma capacité, voyons ! — Je vous voyais, lui répondis-je, les plus rares talents et une ambition égale, sans ajouter créance à la vingtième partie des libelles que j’avais lus contre vous. Je pensais cependant qu’un acte violent, nécessaire à l’accomplissement de vos vues, ne vous eût pas retenu. — Je suis charmé de cette opinion, me dit Napoléon. C’est, j’espère, celle de lord Holland et des Anglais qui me connaissent. Je suis parvenu à un trop haut point de gloire et de puissance pour ne pas avoir éveillé la jalousie et l’injustice. On a dit : Il est monté bien haut, mais pour parvenir, il a commis des crimes. Je défie cette accusation de préciser ses griefs. J’ai toujours marché avec l’opinion générale et suivi le cours des événements. Je n’ai pas eu la pensée d’un crime ; j’ai toujours méprisé les clameurs particulières et intéressées, précisément parce que j’aimais le peuple français et que je marchais comme l’opinion des cinq ou six millions d’hommes valides du pays.