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ordres donnés ; si Napoléon pouvait dépasser le piquet planté à cette porte, et faire, sans être suivi d’un officier anglais, le tour de la maison de miss Mason et de Woody Ranye. Le major Harrison m’a répondu qu’il n’avait point reçu de nouvelles instructions, et que, si Napoléon voulait dépasser les limites, les sentinelles l’arrêteraient. Voilà la probité du gouverneur !

« On m’a imputé la mort de Picbegru, Wright, etc., mais pourquoi ? je n’avais aucun besoin de ces actions sanglantes ; j’avais besoin au contraire de son témoignage, pour prouver que Pitt gageait des scélérats chargés de m’assassiner. Je pense que Wright s’est tué pour ne pas oompromettre son gouvernement ; et, quant à Pichegru, sa culpabilité était trop évidente pour qu’il pût échapper à une condamnation capitale ; peut-être qu’après cela je lui aurais pardonné. Si on eût fait mourir Moreau secrètement, alors, oui, on aurait pu dire que je l’avais fait assassiner, toutes les apparences m’eussent accusé, car c’était le seul homme que je pusse redouter ! il fut reconnu innocent ! Il était bleu comme moi, Pichegru était blanc : on savait qu’il était payé par Pitt, et sa condamnation était immanquable.

« Nul autre que moi n’a su monter si haut de lui-même, sans abattre dans le sang les barrières et les rivaux. Un parent du duc de Bedford, dînant avec moi à l’île d’Elbe, m’a dit qu’on pensait en Angleterre que le duc d’Enghien n’avait pas été jugé, mais assassiné pendant la nuit dans sa prison, et fut surpris quand je lui dis qu’on lui avait fait un procès en règle, et que la sentence avait été publiée avant l’exécution. »

Je saisis l’occasion pour demander à Napoléon s’il était vrai que M. de Talleyrand eût retenu une lettre que le duc d’Enghien lui écrivit, laquelle ne lui eût été remise que deux jours après la mort de ce jeune prince. « Rien n’est plus vrai, me répondit-il ; le duc m’offrait ses services, me demandait un commandement. Talleyrand ne me remit cette lettre que deux jours après l’exécution du jugement.

« Coupable d’avoir porté les armes contre ses concitoyens, le duc d’Enghien fut jugé, condamné, fusillé, comme le commandaient les lois en vigueur.

« Vos ministres ont dénaturé ces faits. Quand il est question de la France, ils se rappellent toujours ce que disait le grand Chatam : « Si nous agissions de bonne foi avec la France, l’Angleterre n’aurait pas un quart de siècle à vivre. »

Il revint à Talleyrand : « C’est, me dit-il, un briconne capable de tous les crimes.