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avec Pichegru et Georges, dans la conspiration, et sa mort, en 1813, en combattant les Français, ont déshonoré à jamais son nom. Comme général, Moreau était infiniment au-dessous de Desaix, Kléber et Soult. De tous les généraux que j’ai eus sous moi, Desaix et Kléber ont été les plus distingués, surtout Desaix. Kléber n’aimait la gloire qu’autant qu’elle lui valait des richesses et des plaisirs. Desaix, tout différent, cherchait la gloire pour elle-même, et méprisait toute autre chose. Il ne rêvait que bataille et réputation. Les richesses et les plaisirs n’étaient rien pour lui ; il ne leur accordait pas même une pensée. C’était un petit homme d’un air sombre, d’un pouce à peu près moins grand que moi, toujours vêtu avec négligence, quelquefois même ses vêtements étaient déchirés ; il méprisait les jouissances et les commodités de la vie. Plusieurs fois, en Égypte, je lui fis présent d’un équipage de campagne complet, mais il le perdait bientôt. Enveloppé dans un manteau, Desaix se jetait sur un canon, et dormait aussi tranquillement que sur l’édredon. La mollesse n’avait pour lui aucun charme. Droit et honnête dans tous ses procédés, les Arabes l’avaient appelé le sultan juste. La nature l’avait formé pour être un grand général. Kléber et Desaix furent des pertes irréparables pour la France. Si Kléber eût vécu, votre armée eût péri en Égypte. Si Menou vous eût attaqués lors de votre débarquement, avec ses vingt mille hommes, au lieu de ne prendre que la division Lanusse, vous étiez perdus sans ressource. Vous n’aviez que dix-sept ou dix-huit mille hommes, sans cavalerie.

« Lannes, lorsque je le pris pour la première fois, n’était qu’un ignorantaccio. Son éducation avait été très-négligée. Il fit beaucoup de progrès ; et, pour en juger, il suffit de dire qu’il était devenu un général de première classe ; il possédait une grande expérience de la guerre. Il s’était trouvé dans cinquante combats isolés, et à cent batailles plus ou moins importantes. C’était un homme d’une bravoure extraordinaire, calme au milieu du feu. Il possédait un coup d’œil sûr et pénétrant, était prompt à profiter de toutes les occasions qui se présentaient. Parfois vif et même impétueux contre moi, il m’était cependant fort attaché. Dans ses accès de colère, il ne voulait permettre à personne de lui faire des observations ; et même il n’était pas toujours prudent de lui parler lorsqu’il était dans cet état de violence. Alors il avait l’habitude de venir à moi et de me dire qu’on ne pouvait se fier à telle ou telle personne. Comme général, je l’ai toujours regardé comme infiniment supérieur à Moreau et même à Soult.