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« Voyez comment Las Cases est traité ! Hudson viendra dire, dans quelques jours, qu’il a été averti qu’il se tramait une conspiration pour effectuer mon évasion. Je n’ai aucune certitude que, lorsque j’aurai fini d’écrire mon histoire, il ne s’en emparera pas ? Je garde, il est vrai, mes manuscrits dans ma chambre, j’en disputerai la propriété le pistolet à la main, en faisant sauter la cervelle au premier qui voudrait s’en emparer : pauvre ressource ! Il faudra que je brûle tout ce que j’ai fait. C’était ma seule consolation dans cette demeure affreuse ; peut-être mes écrits auraient-ils intéressé le monde. »

Hudson Lowe m’a fait prévenir qu’on allait restituer à Napoléon ses différents manuscrits.

Quant au journal de Las Cases, Hudson se réservait d’en causer avec Bertrand.

Le jeune Las Cases est très-indisposé ; je suis allé le visiter, en présence de Reade. J’ai appris que Hudson Lowe était blessé de quelques paroles de M. de Las Cases père.

Napoléon a fait appeler Saint-Denis, qui a transcrit le Journal de Las Cases, et lui a fait diverses questions sur ce qu’il contenait. C’était, dit Saint-Denis, le récit de tous les événements de quelque intérêt depuis l’embarquement à bord du Bellérophon. « N’y a-t-il rien qui puisse compromettre quelqu’un (et il nomma trois ou quatre personnes) ? — Non, Sire. — Parle-t-il de l’amiral Malcolm ? — Oui, Sire. — Dit-il que j’ai fait observer qu’il avait la physionomie d’un véritable Anglais ? — Oui, Sire, et il le traite fort bien. — Il ne dit rien du gouverneur actuel ? — Il en parle beaucoup, Sire. — Dit-il que c’est un homme épouvantable, et que sa figure est la plus affreuse que j’aie vue en ma vie ? — Sire, il a dit tout cela : seulement, il a adouci les expressions. »

Napoléon nous a parlé aujourd’hui de son frère Joseph : « Il avait un excellent caractère. Ses vertus et ses talents convenaient surtout à la vie privée. Trop bon pour être un grand homme, il n’a aucune ambition. Nous nous ressemblons beaucoup ; mais il est mieux que moi. Il est plein d’instruction ; mais ce n’est pas celle qui convient à un roi : il n’est pas capable de commander une armée. »

29. — J’ai trouvé Napoléon dans son cabinet de toilette. Il était charmé d’avoir recouvré le commentaire de ses campagnes d’Italie. Il ajouta : « Et les autres papiers, me les rendra-t-il ? »

J’ai été tout à coup indisposé, me trouvant près de lui. En ce moment, l’Empereur parlait… Je tombai sur le plancher privé de connaissance… Quand je rouvris les yeux, je vis Napoléon, le regard attaché sur mon