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mais en Allemagne elle présente des dangers pour l’ordre social. »

J’ajoutai : « N’avez-vous pas protégé les francs-maçons ? — Oui, parce qu’ils s’étaient prononcés contre le pape. — Auriez-vous jamais permis le rétablissement des jésuites en France ? — Non, c’est la plus dangereuse de toutes les sociétés ; elle a fait plus de mal à elle seule que toutes les autres ensemble. La doctrine des jésuites, c’est que leur général est le souverain des souverains, et le maître du monde. Non, non, je n’aurais jamais consenti qu’il existât dans mon empire une société placée sous la direction d’un étranger. Je n’aurais jamais voulu de frati : il y avait assez de prêtres pour ceux qui en avaient besoin, je n’avais pas besoin de monastères remplis de canaglie, mangeant, pillant ou se livrant à des crimes. » Je lui dis qu’il était à craindre que les prêtres et les jésuites ne prissent bientôt une influence fatale en Europe. Napoléon répondit. « Cela est très-vraisemblable ; je le crains comme vous. Dans les règnes qui ont précédé le mien, les protestants étaient aussi maltraités que les Juifs ; ils ne pouvaient acquérir de propriété. Je les ni mis sur le même pied que les catholiques. L’empereur Alexandre a pu sans inconvénient permettre l’entrée de son empire aux jésuites, parce qu’il est de sa politique d’attirer dans son pays barbare des hommes éclairés, quelle que soit leur secte ; et d’ailleurs ils ne sont pas très à craindre en Russie, parce que la religion est différente. Pourtant ils feront tant, qu’il sera forcé de les renvoyer. »

Il m’a fait ce portrait de Carnot : « C’était un homme laborieux et sincère. Il a dirigé les opérations de la guerre, sans avoir mérité les éloges qu’on lui a donnés, parce qu’il n’avait ni l’expérience ni l’habitude de la guerre. Il n’a montré que peu de talent pendant son premier ministère ; il a eu avec le ministre des finances et la trésorerie plusieurs querelles dans lesquelles il avait tort. Il quitta le ministère, convaincu qu’il ne pouvait le conserver faute d’argent. Il vota ensuite contre l’établissement de l’empire ; mais comme sa conduite a toujours été franche, jamais il ne donna d’ombrage. Il ne me demanda rien pendant la prospérité de l’empire ; mais après les malheurs de la Russie, il sollicita de l’emploi, et reçut le commandement d’Anvers, qu’il défendit fort bien. Après mon retour de l’île d’Elbe, il fut nommé ministre de l’intérieur ; et j’eus lieu d’être très-satisfait de sa conduite. Lors de l’abdication, il a été membre du gouvernement provisoire ; mais il fut joué par les intrigants dont il était entouré. Dans sa jeunesse, il passait pour un original parmi ses camarades. Il détestait les