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louer infiniment. Il est certain qu’en dépit de sa présence, durant tout le déjeuner, qui ne laissa pas que d’être long, il nous eût été très aisé de lui dérober les communications que nous aurions eues à nous faire ; mais il n’en existait aucune, et il ne fut pas dit un mot en secret de part ou d’autre. Si j’avais prévu cette circonstance inopinée, j’aurais pu faire garder à mon fils toute ma correspondance avec sir Hudson Lowe, et elle fût aisément parvenue à Longwood ; mais, en y réfléchissant, je me félicitais de n’en avoir pas le moyen, me défiant toujours de sir Hudson Lowe, qui, évidemment si occupé de me faire rester, eût pu profiter d’une découverte de la sorte pour changer toutes les dispositions arrêtées et en imposer de nouvelles.

Le déjeuner fini, j’eus le courage d’être le premier à vouloir prendre congé. Je demandai que le gouverneur fût rappelé pour mettre fin aux dernières mesures. J’embrassai mes compagnons, et ils me quittèrent ; le général Gourgaud, en partant, revint à différentes reprises, avec tant d’effusion et de grâce, sur les petites contrariétés que nous avions pu nous causer réciproquement, qu’il me fut doux de me convaincre que les circonstances pénibles où nous nous étions trouvés avaient pu seules les amener, et que le cœur n’y avait jamais été pour rien ; aussi ne m’en est-il resté qu’un agréable souvenir et une sincère reconnaissance pour ces derniers instants.

Sir Hudson Lowe, de retour, voyant sortir ces messieurs, me dit d’un air significatif, avec un certain embarras mêlé de dépit : « Vous n’avez donc pas jugé à propos de retourner à Longwood ? Il faut croire que vous avez de bonnes raisons pour cela. » Je m’inclinai pour toute réponse, et le priai de procéder immédiatement au scellé des papiers, seul objet qui me retînt. Déjà, depuis plusieurs jours, j’avais exigé et obtenu qu’il en fût fait un inventaire, dont je réclamais une copie authentique, signée de sir Hudson Lowe. Il ne s’agissait plus, en cet instant, que d’apposer les scellés ; sir Hudson Lowe avait retardé le plus possible et jusqu’au dernier moment cette formalité, et il la conclut d’une manière qui le caractérise. Il me dit avec assez de gêne, en belles paroles, que par respect pour l’Empereur, aussi bien que par égard pour mes qualités personnelles, il voulait bien me laisser apposer mon sceau, pourvu que je consentisse à ce qu’il pût le lever en mon absence s’il le jugeait nécessaire. Sur mon souris et mon refus, il marcha quelque temps à grands pas ; puis, comme s’il avait remporté une grande victoire sur lui-même, il s’écria : « Je le prends sur moi, je m’en passerai. » En faisant appeler le secrétaire du gouvernement, il fit appo-