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que nous possédions se trouva emballé, nous étions prêts, nous attendions. Il approchait enfin ce moment désormais si désiré ; car quelles ne peuvent pas être les variations de nos sentiments selon des circonstances nouvelles ! Moi qui eusse regardé, il y a peu de temps encore, comme le plus grand supplice qu’on m’eût séparé de l’Empereur et déporté de Sainte-Hélène, aujourd’hui, au contraire, depuis mes dernières résolutions, d’après le désir manifeste de sir Hudson Lowe, d’après ces paroles positives de l’Empereur : « Je vous invite et au besoin je vous ordonne de sortir de cette île,» d’après des antécédents précieux, puisés dans ses conversations, et que je ne saurais indiquer, bien qu’étrangers à la politique ; enfin, par suite des chimères mêmes que je m’étais forgées, toutes ces causes réunies faisaient que mon plus grand tourment désormais était d’appréhender qu’on ne m’y retînt ; et, bien qu’on m’eût annoncé déjà l’heure du départ, je n’en demeurais pas moins dans une anxiété mortelle. Le gouverneur sembla la justifier en se faisant attendre presque tout le jour. Il se faisait tard ; l’impatience, l’attente, l’inquiétude m’avaient donné de la fièvre ; sur les six heures, le gouverneur, sur lequel je ne comptais plus, parut ; et, après un petit préambule à sa façon, me dit qu’il venait d’amener le grand maréchal, auquel il permettait de prendre congé de moi, et il m’a conduit dans la salle voisine, où j’ai pu embrasser en effet ce digne compagnon de Longwood. Il était chargé de me dire de la part de l’Empereur : « Qu’il me verrait rester avec plaisir, et me verrait partir avec plaisir. » C’étaient là ses propres expressions. « Qu’il connaissait mes sentiments, qu’il était sûr de mon cœur ; qu’il avait confiance pleine et entière en moi. Que quant aux chapitres de la campagne d’Italie, que j’avais demandé la permission de garder comme ressouvenir cher et précieux, il l’accordait sans hésitation, aussi bien que tout autre objet quelconque qui pourrait être demeuré dans mes mains, se plaisant à les considérer comme n’étant pas sortis des siennes. » Sir Hudson Lowe était demeuré présent, c’était de rigueur. Le grand maréchal a ajouté quelques commissions de livres, l’envoi des Moniteurs surtout, et de divers autres objets nécessaires ou utiles à l’Empereur, terminant par me dire significativement de faire du reste, en toutes choses, ce que je croirais pour le mieux.

Il était dit que l’amitié du grand maréchal ajouterait à mon supplice ; il me voyait partir avec peine, et s’ingéniait à me donner des raisons pour me décider à rester. « Mon départ était une perte pour eux tous, disait-il avec grâce en s’adressant au gouverneur. C’en était une pour