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au docteur, et non à l’autorité ; vous pouvez vous en informer auprès de lui. Quant à mon fils, je suis bien étonné, Monsieur, qu’il ne vous soit rien revenu par la voix publique de sa situation, des consultations qui ont été faites à son sujet, des crises qu’il a éprouvées, de ses saignées nombreuses, etc., etc. Est-il bien extraordinaire que nos circonstances présentes accroissent nos maux, empirent rapidement notre état ?

« Je viens à votre arrêté de ma déportation au Cap. J’y vois que l’on retiendra tous ceux de mes papiers qui auront des rapports avec l’auguste personne à laquelle je trouvais doux de consacrer mes soins et ma vie. Quels autres papiers, Monsieur, pourrais-je avoir ? Que veut donc dire que je serai libre d’emporter tous les autres ? N’est-ce pas encore ici offrir quelque chose et ne rien donner ?

« Vous retenez mon Journal, ce seul et véritable objet de tant de bruit, ce dépositaire encore informe, inexact, jusqu’ici inconnu à tous, où, jour par jour, j’écrivais ce que je pensais, ce que je voyais, ce que j’entendais. Est-il de papier plus sacré, plus à moi que celui-là ? et pouvez-vous prétexter cause d’ignorance de son contenu ? Je vous l’ai laissé parcourir deux heures à discrétion, à feuille ouverte, ou à article choisi dans la table des matières. Ne deviendriez-vous pas responsable de la tournure que vous aurez donnée, de l’abus que vous en aurez fait faire ? N’aurez-vous peut-être pas à vous justifier un jour de l’idée très fausse que vous en aurez présentée sans doute à vos ministres ? vous me l’avez dit un journal politique. Je n’avais pas le droit, ajoutiez-vous, dans la situation où je me trouvais, de tenir registre de ce que disait l’empereur Napoléon. C’était un abus, surtout, que j’y eusse introduit des pièces officielles, disiez-vous. Comme si tout ce que je voyais, lisais, touchais, entendais, n’était pas, de droit et sans inconvénient, du domaine de ma pensée et de ma propriété tant que le recueil en demeurait mystérieux et secret ! Soupçonnerait-on de pareils principes puisés au sein des idées libérales d’Angleterre ? n’y reconnaîtrait-on pas bien plutôt les maximes odieuses de la police du continent ? Et que trouvera-t-on dans ce Journal ? des dires, des actes, des mots sublimes, sans doute, de l’auguste personne qui en était l’objet ; des matériaux de sa vie, et aussi des choses peu agréables pour vous peut-être ! Mais qui leur aura donné de la publicité ? Ne devait-ce pas être retouché ? Ne pouvait-ce pas être changé, altéré, rectifié ? Qui l’aura empêché ? Ce n’est pas, du reste, Monsieur, que rien de ce qui arrive aujourd’hui puisse d’ailleurs me porter