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« Quoi qu’il en soit, nous gémissons ici, en dépit du sens et des expressions de la législature anglaise, sous la tyrannie et l’arbitraire d’un seul homme ; d’un homme qui, depuis vingt ans, n’a eu d’autre occupation que d’enrégimenter et régir les malfaiteurs et transfuges de l’Italie ; d’un homme qui ne reconnaît point de limites à ses craintes ni à ses précautions, tant son cœur est endurci et son imagination effrayée. Cette affreuse situation est la funeste conséquence de nous trouver ainsi, au bout de la terre, dans les déserts de l’Océan. Combien de temps encore doit durer notre supplice ? Quand la vérité se fraiera-t-elle un passage jusqu’au peuple d’Angleterre ? Quand son indignation viendra-t-elle à bout de redresser des excès qui le flétrissent ? Devons-nous périr sans secours sur notre affreux rocher ? Nous causons de grandes dépenses à la métropole, et nous ruinons cette misérable colonie. Elle maudit notre séjour, comme nous maudissons son existence. Et puis, à quoi bon tout cela ? L’Empereur disait assez gaiement, il y a peu de jours : « Bientôt nous ne vaudrons pas l’argent que nous coûtons, ni les soins que l’on se donne. » Et pourquoi les ministres ne nous rappelleraient-ils pas ? Notre retour prouverait leur force, et fixerait leur caractère. On pourrait croire alors que notre exil passager aurait été la nécessité de la politique, et non l’ouvrage de la haine. Ils obtiendraient une grande économie, et se créeraient une véritable gloire. L’Empereur en est encore et demeure à jamais dans les mêmes intentions et les mêmes vœux que lorsqu’il vint librement et de bonne foi à bord du Bellérophon. Sa carrière politique est terminée. Le repos sous la protection de lois positives est tout ce qu’il demande, tout ce qu’il veut. Le dépérissement de sa santé, les infirmités naissantes, le nombre de ses années, le dégoût des choses humaines, peut-être celui des hommes, le lui rendent plus désirable, plus nécessaire que jamais.

« Quant à nous qui sommes autour de lui, quelque inique que demeurât notre captivité, il n’est plus aujourd’hui de cachot sur le sol de l’Angleterre qui ne fût un bienfait pour nous. Nous serions sous la main d’un pouvoir protecteur, nous échapperions à l’arbitraire d’un agent subalterne, nous respirerions l’atmosphère européenne ; et si nous venions à succomber, nos ossements reposeraient en terre chrétienne.

« Il y a quelques mois que les commissaires des pouvoirs alliés sont débarqués dans la colonie. Sir Hudson Lowe leur a signifié que leur mission y était purement passive ; qu’ils n’avaient ni autorité ni interférence sur ce qui s’y passait à notre égard. Après quoi, il a envoyé à Longwood le traité du 2 août, et requis l’admission de ces commis-