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traces. Courez chez son frère, lui dis-je : s’il a déserté sa demeure, c’est déjà un fort indice que Pichegru est sur les lieux ; si son frère se trouve encore dans son logement, assurez-vous de sa personne : sa surprise vous fera bientôt connaître la vérité. C’était un ancien religieux, vivant à Paris dans un quatrième étage. Dès qu’il se vit saisi, sans attendre aucune question, il demanda quelle pouvait être sa faute ; si on lui faisait un crime d’avoir reçu malgré lui la visite de son frère. Il avait été le premier, disait-il, à lui peindre son péril et à lui conseiller de s’en retourner. C’en fut assez, l’arrestation de Moreau fut ordonnée et accomplie. Il sembla d’abord s’en inquiéter peu ; mais arrivé à la prison, quand il sut que c’était pour avoir conspiré contre l’État, de concert avec Georges et Pichegru, il fut fort déconcerté, son trouble fut extrême. Quant à la multitude du parti, continuait Napoléon, le nom de Pichegru sembla pour elle un triomphe ; ils s’écriaient de toutes parts que Pichegru était à Londres, que sous peu de jours on aurait prouvé l’alibi, soit qu’ils ne sussent pas en effet qu’il fût dans Paris, ou qu’ils crussent qu’il lui serait aisé de s’en échapper. »

Depuis longtemps le Premier Consul avait rompu avec Moreau. Celui-ci était entièrement gouverné par sa femme. « Malheur toujours funeste, disait l’Empereur, parce qu’on n’est alors ni soi ni sa femme ; qu’on n’est plus rien. » Moreau se montrait tantôt bien, tantôt mal pour le Premier Consul ; tantôt obséquieux, tantôt caustique. Le Premier Consul, qui eût désiré se rattacher, se vit obligé de s’en éloigner tout à fait. « Moreau finira, avait-il dit, par venir se casser la figure sur les colonnes du palais. » Et il n’y était que trop poussé par les inconséquences ridicules et les prétentions de sa femme et de sa belle-mère. Celle-ci allait jusqu’à vouloir disputer le pas à la femme du Premier Consul. Le ministre des relations extérieures avait été obligé une fois, disait Napoléon, d’employer la force pour l’arrêter dans une fête ministérielle.

Moreau arrêté, le Premier Consul lui fit savoir qu’il lui suffisait d’avouer qu’il avait vu Pichegru, pour que toute procédure à son égard fût finie. Moreau répondit par une lettre fort haute ; mais depuis, quand Pichegru fut lui-même arrêté, que l’affaire prit une tournure sérieuse, alors Moreau écrivit au Premier Consul une lettre très soumise, mais il n’était plus temps.

Moreau avait, en effet, conféré avec Pichegru et Georges ; il avait répondu à leurs propositions : « Dans l’état présent des choses, je ne pourrais rien pour vous autres, je n’oserais pas vous répondre même de mes aides de camp ; mais défaites-vous du Premier Consul, j’ai des parti-