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soit qu’il s’y vît contraint par une toux nerveuse qui, depuis peu, lui revenait souvent après son dîner. Il est certain qu’il change beaucoup, et que sa santé se perd tout à fait.


Projet d’une histoire européenne – Sélim III – Forces d’un sultan turc – Les mameloucks – Sur la régence.


Lundi 5.

L’Empereur n’est sorti qu’à près de cinq heures ; il était souffrant, avait pris un bain, que la venue de sir H. Lowe avait trop prolongé, n’ayant voulu en sortir qu’après que ce gouverneur eût disparu de l’établissement.

L’Empereur avait lu dans son bain deux volumes de l’Histoire Ottomane. Il avait conçu l’idée, disait-il, et regrettait fort de n’avoir pu l’exécuter, de faire composer toutes les histoires de l’Europe depuis Louis XIV, sur les pièces mêmes de nos relations extérieures où se trouvent les rapports réguliers de tous les ambassadeurs.

« Mon règne, disait-il, eût été une époque parfaite pour cet objet. La supériorité de la France, son indépendance, sa régénération, mettaient le gouvernement actuel à même de publier tous ces objets sans inconvénient. C’eût été comme si l’on eût publié l’histoire ancienne : rien n’eût été plus précieux. »

Et de là, passant à Sélim III, il disait lui avoir écrit un jour : « Sultan, sors de ton sérail, mets-toi à la tête de tes troupes, et recommence les beaux jours de la monarchie. »

Sélim, le Louis XVI des Turcs, disait l’Empereur, qui nous était très attaché et très favorable d’ailleurs, se contenta de lui répondre que c’était bon pour les premiers princes de sa dynastie, que les mœurs de ce temps étaient bien loin, que de pareils actes seraient aujourd’hui hors de saison et tout à fait sans fruit.

L’Empereur ajoutait néanmoins que personne ne connaissait sans doute la force de la développée, le débordement subit dont serait capable un sultan de Constantinople qui saurait se placer à la tête de son peuple, le retremper, et mettre en marche sa multitude fanatisée. Plus tard, il disait que, pour son propre compte, si en Égypte il eût pu à ses Français joindre les mameloucks, il se serait regardé comme le maître du monde. « Avec cette poignée choisie et la canaille, ajoutait-il en riant, recrutée sur les lieux, pour être dépensée au besoin, je ne connais rien que je n’eusse renversé. Alger en trembla. »