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froid de ses actes ; ils démontrent surtout que, bien qu’au sommet du pouvoir, sa modération et son équité ne fléchissaient point devant ce qui lui était le plus directement personnel, et sur le sujet le plus délicat et le plus sensible.

– Lorsque, compromis dans l’affaire de Georges et Pichegru, Moreau se trouva arrêté, un des aides de camp du Premier Consul, qui l’avait été aussi peut-être de Moreau, ou du moins avait servi sous ses ordres, n’hésita pas à l’aller visiter avec un intérêt marqué. « Cela peut être bien, dit Napoléon en l’apprenant ; je ne saurais précisément blâmer un tel acte ; mais je dois chercher un autre aide de camp. Ce poste est tout de confiance et d’un entier dévouement ; il ne saurait admettre de partage dans une affaire aussi personnelle que celle-ci. » Et il donna un régiment à cet aide de camp, le colonel Lacuée.

Voici qui fait voir que Napoléon n’était pas disposé à sévir trop promptement contre une certaine indépendance même déraisonnable.

Je tiens de M. de Montalivet, alors ministre de l’intérieur, que, demeuré seul avec l’Empereur après un conseil des ministres, il lui dit : « Sire, ce n’est pas sans un grand embarras que j’ose entretenir Votre Majesté d’une circonstance vraiment ridicule ; mais un préfet, jeune auditeur, s’obstine ouvertement à me refuser un titre que l’usage a consacré pour tous vos ministres. Des subalternes de mes bureaux s’étant aperçus qu’il ne me donnait jamais le monseigneur, et croyant y voir de l’affectation, ont eu la gaucherie de le lui réclamer en mon nom ; à quoi il a répondu péremptoirement qu’il n’en ferait rien. Je suis tout honteux qu’on ait élevé cette difficulté ; mais pourtant la chose en est venue à un point qui ne permet pas de reculer. » Une telle obstination parut d’abord incroyable à l’Empereur ; il ne revenait pas, disait-il, d’une pareille folie dans le jeune préfet. Cependant, après quelques instants de méditation, il répondit à M. de Montalivet en riant : « Mais c’est qu’après tout une telle obligation n’est pas dans le Code, et ce jeune homme est peut-être un bon fruit qui n’est pas mûr. Toutefois un tel scandale ne doit pas se prolonger, et il faut en finir : faites-moi venir son père ; je suis sûr que le jeune homme ne résistera pas à un ordre de sa part. » Tournure remarquable de la plus délicate morale.

– Le 20 mars au soir, l’Empereur à peine entré dans ses appartements aux Tuileries, le capitaine des dragons G. D… se présente à lui : il était porteur de la capitulation de Vincennes, qui venait d’être obtenue par une rare audace et une grande adresse. Napoléon sourit d’abord