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la plus élevée, la plus belle ; il le pensait un des caractères les plus aimables de l’histoire. « César, observait-il, conquiert les Gaules et les lois de sa patrie ; mais est-ce au hasard et à la simple fortune qu’il doit ses grands actes de guerre ? » Et il analysait encore les hauts faits de César, comme il avait fait de ceux d’Alexandre.

« Et cet Annibal, disait-il, le plus audacieux de tous, le plus étonnant peut-être, si hardi, si sûr, si large en toutes choses ; qui, à vingt-six ans, conçoit ce qui est à peine concevable, exécute ce qu’on devait tenir pour impossible ; qui, renonçant à toute communication avec son pays, traverse des peuples ennemis ou inconnus qu’il faut attaquer et vaincre, escalade les Pyrénées et les Alpes qu’on croyait insurmontables, et ne descend en Italie qu’en payant de la moitié de son armée la seule acquisition de son champ de bataille, le seul droit de combattre ; qui occupe, parcourt et gouverne cette même Italie durant seize ans, met plusieurs fois à deux doigts de sa perte la terrible et redoutable Rome, et ne lâche sa proie que quand on met à profit la leçon qu’il a donnée d’aller le combattre chez lui. Croira-t-on qu’il ne dut sa carrière et tant de grandes actions qu’aux caprices du hasard, aux faveurs de la fortune ? Certes, il devait être doué d’une âme de la trempe la plus forte et avoir une bien haute idée de sa science en guerre, celui qui, interpellé par son jeune vainqueur, n’hésite pas à se placer, bien que vaincu, immédiatement après Alexandre et Pyrrhus, qu’il estime les deux premiers du métier.

« Tous ces grands capitaines de l’antiquité, continuait Napoléon, et ceux qui, plus tard, ont dignement marché sur leurs traces, n’ont fait de grandes choses qu’en se conformant aux règles et aux principes naturels de l’art, c’est-à-dire par la justesse des combinaisons et le rapport raisonné des moyens avec leurs conséquences, des efforts avec les obstacles. Ils n’ont réussi qu’en s’y conformant, quelles qu’aient été d’ailleurs l’audace de leurs entreprises et l’étendue de leurs succès. Ils n’ont cessé de faire constamment de la guerre une véritable science. C’est à ce titre seul qu’ils sont nos grands modèles, et ce n’est qu’en les imitant qu’on doit espérer en approcher.

« On a attribué à la fortune mes plus grands actes, et on ne manquera pas d’imputer mes revers à mes fautes ; mais si j’écris mes campagnes, on sera bien étonné de voir que, dans les deux cas et toujours, ma raison et mes facultés ne s’exercèrent qu’en conformité avec les principes, etc. »

Comme il est à désirer que l’Empereur accomplisse sa pensée