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levée de boucliers : on ne douta pas à Vienne que ce ne fût par mes ordres ; et, me mesurant à leur échelle, ils ne virent dans toute cette complication que finasserie de ma part, et ils ne s’occupèrent plus dès lors qu’à contre-intriguer contre moi.

« Mon entrée en campagne avait été des plus habiles et des plus heureuses ; je devais surprendre l’ennemi en détail, mais voilà qu’un transfuge sort du rang de nos généraux pour l’aller avertir à temps.

« Je gagne brillamment la bataille de Ligny, mais mon lieutenant me prive de ses fruits. Enfin je triomphe à Waterloo même, et tombe au même instant dans l’abîme ; et tous ces coups, je dois le dire, me frappèrent beaucoup plus qu’ils ne me surprirent. J’avais en moi l’instinct d’une issue malheureuse, non que cela ait influé en rien sur mes déterminations et mes mesures assurément, mais toutefois j’en portais le sentiment au-dedans de moi. »

Voici un trait qui confirme ces dispositions intérieures et secrètes de Napoléon ; il est trop remarquable pour que je ne le consigne pas ici. L’Empereur, sur les bords de la Sambre, de grand matin et le temps très frais, s’approcha du feu d’un bivouac, en compagnie de son seul aide de camp de service (le général Corbineau). Une marmite bouillait, c’étaient des pommes de terre ; il s’en fit donner une et se mit à la