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pour beaucoup, a-t-il ajouté, car je me regarde comme l’homme le plus audacieux en guerre qui peut-être ait jamais existé, et bien certainement je ne serais pas resté dans la position de Dumouriez, tant elle m’eût présenté de dangers. Je n’explique sa manœuvre qu’en me disant qu’il n’aura pas osé se retirer. Il aura jugé encore plus de périls dans la retraite qu’à demeurer. Wellington s’était mis dans ce cas avec moi le jour de Waterloo.

« Les Français sont les plus braves qu’on connaisse ; dans quelque position qu’on les essaye, ils se battront ; mais ils ne savent pas se retirer devant un ennemi victorieux. S’ils ont le moindre échec, ils n’ont plus ni tenue ni discipline ; ils vous glissent dans la main. Voilà, je suppose, quel aura été le calcul de Dumouriez, etc. ; ou bien encore, peut-être, quelque négociation secrète que nous ignorons. »

Dans le jour, des papiers publics qu’on nous a procurés parlaient du mariage du prince Léopold de Saxe-Cobourg avec la princesse Charlotte de Galles.

L’Empereur a dit : « Ce prince Léopold a pu être mon aide de camp : il l’a sollicité de moi, et je ne sais ce qui aura arrêté sa nomination. Il est fort heureux pour lui de n’avoir pas réussi : ce titre lui aurait coûté sans doute le mariage qu’il fait en cet instant ; et puis, observait l’Empereur, qu’on vienne nous dire ce qui est heur ou malheur ici-bas dans la vie des hommes !… »

La conversation s’est engagée alors sur la princesse Charlotte d’Angleterre. Quelqu’un disait qu’elle était extrêmement populaire à Londres, et donnait des signes non équivoques de beaucoup de caractère. C’était un adage parmi beaucoup d’Anglais qu’elle recommencerait Élisabeth. Elle-même, prétendait-on, n’était pas sans quelques pensées à cet égard. Je me trouvais à Londres en 1814 précisément quand cette jeune princesse, à la suite des outrages faits à sa mère en présence des souverains alliés, s’était évadée de chez le prince régent son père, avait sauté dans le premier fiacre offert à sa vue et volé à la demeure de sa mère, qu’elle adorait. La gravité anglaise se montra indulgente en cette occasion ; on se plut généralement à trouver l’excuse d’une inconséquence aussi grave dans la moralité même du sentiment qui l’avait causée. La jeune princesse ne voulait plus sortir de chez sa mère ; il fallut que le duc d’York, ou un autre de ses oncles, et peut-être encore le grand chancelier d’Angleterre, vinssent la décider à retourner auprès de son père, lui démontrant que son obstination pouvait exposer sa mère au point de mettre sa vie en péril.