Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/410

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grandes et belles institutions : « À quoi bon bavarder là-dessus ? me dit-il ; on m’eût pris pour un charlatan, on m’eût suspecté d’insinuation, de souplesse ; on se fût familiarisé à me combattre, et je serais tombé dans le discrédit. Situé, ainsi que je l’étais, sans l’autorité héréditaire de l’antique tradition, privé du prestige de ce qu’ils appellent la légitimité, je ne devais pas permettre l’occasion d’entrer en lice vis-à-vis de moi, je devais être tranchant, impérieux, décisif. Vous me dites qu’on a dit de moi dans votre faubourg : Que n’était-il, légitime ! Si je l’eusse été, je n’aurais pas fait davantage sans doute, mais il m’eût été permis alors d’avoir plus de bonhomie, etc. »


La Vendée ; Charette – Lamarque – Tragédies d’Eschyle et de Sophocle, etc. – Véritables tragédies chez les Romains – La Médée de Sénèque ; singularité.


Vendredi 8.

L’Empereur a travaillé avec l’un de nous, ce qui nous a fort réjouis, en nous prouvant qu’il se trouvait mieux.

Il m’a fait demander avant dîner. Le travail semblait l’avoir ranimé ; il était fort causant, et nous marchions dans son appartement. La Vendée, ses troubles, les chefs qu’elle a montrés, ont été un des sujets remarquables de la conversation.

Charette était le seul dont il fît un cas tout particulier. « J’ai lu une histoire de la Vendée. Si les détails, les portraits sont exacts, disait-il, Charette est le seul grand caractère, le véritable héros de cet épisode marquant de notre révolution, lequel, s’il présente de grands malheurs, n’immole pas du moins notre gloire. On s’y égorge, mais on ne s’y dégrade point ; on y reçoit des secours de l’étranger, mais on n’a pas la honte d’être sous sa bannière et d’en recevoir un salaire journalier pour n’être que l’exécuteur de ses volontés. Oui, a-t-il continué, Charette me laisse l’impression d’un grand caractère ; je lui vois faire des choses d’une énergie, d’une audace peu commune ; il laisse percer du génie. » Je lui disais avoir beaucoup connu Charette dans mon enfance. Nous avions été gardes de la marine ensemble à Brest ; nous y avions partagé longtemps la même chambre, mangé à la même table, et il avait fort surpris par ses exploits et sa brillante carrière tous ceux de nous qui avaient été liés avec lui. Nous avions jugé Charette assez commun, de peu d’instruction, volontiers atrabilaire, et surtout extrêmement indolent : pas un de nous qui ne l’eût condamné à demeurer dans la foule des insignifiants. Il est bien vrai qu’à mesure qu’il prenait de l’éclat, nous rappelions et nous aimions à faire ressortir qu’à une de ses premières campagnes dans la guerre d’Amérique, et ne devant