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tout de lui. Au besoin, si le cas le requiert, il jette en passant, par-dessus les Alpes, quelques tisons enflammés sur le sol italien, tout prêt pour l’explosion, et marche triomphant vers la France, dont il se proclame de nouveau le libérateur. Assurément, moi, dans une telle situation, j’arriverais à Calais à temps fixe et par journées d’étape, et je m’y trouverais le maître et l’arbitre de l’Europe… » Et après quelques instants de silence, il a ajouté : « Peut-être, mon cher, êtes-vous tenté de me dire, comme le ministre de Pyrrhus à son maître : Et après tout, à quoi bon ? Je réponds : À fonder une nouvelle société, et à sauver de grands malheurs. L’Europe attend, sollicite ce bienfait ; le vieux système est à bout, et le nouveau n’est point assis, et ne le sera pas sans de longues et furieuses convulsions encore. »

L’Empereur a gardé de nouveau le silence, mesurant avec un compas des distances sur la carte, et disait Constantinople placée pour être le centre et le siège de la domination universelle, etc.

Il est revenu ensuite sur l’Inde anglaise, et m’a demandé si j’étais bien au fait de son histoire. Je lui ai dit le peu que j’en savais.

Élisabeth créa une compagnie des Indes, en vertu de sa prérogative royale.

Cent ans plus tard, le parlement en créa une autre. Bientôt après, ces deux compagnies, qui se nuisaient par leur concurrence, furent réunies dans une même charte nationale.

En 1716, la compagnie obtint des souverains de l’Inde le fameux firman ou charte indienne, pour exporter et importer sans payer aucun droit.

En 1741, la compagnie, pour la première fois, interféra militairement dans la politique de l’Inde, en opposition à la compagnie française, qui prit le parti adverse. Depuis ce temps, les deux nations se battirent sur ce terrain éloigné toutes les fois qu’elles eurent la guerre en Europe. La France eut un moment très brillant dans la guerre de 1740 ; elle fut écrasée dans celle de 1755, soutint l’égalité dans celle de 1779, et disparut tout à fait dans celle de la révolution.

Aujourd’hui la compagnie des Indes anglaises domine toute la péninsule, qui compte une population de plus de quatre-vingt ou cent millions de sujets, ses tributaires ou ses alliés.

Telle est cette fameuse compagnie des Indes qui se trouve tout à la fois marchande et souveraine, dont les richesses se composent des profits de son commerce et des revenus de son territoire ; d’où il résulte que le marchand est souvent poussé par l’ambition du souverain, et que