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pour éclairer du moins et tenir en garde les esprits. Il tomba sur le pauvre Frochot, le préfet de Paris, qui assurément m’était fort attaché. Mais à la simple requête de l’un de ces saltimbanques, au lieu d’efforts qui étaient l’obligation de sa place, d’une résistance désespérée qui eût dû le faire mourir à son poste, il convenait avoir ordonné tout bonnement de préparer le lieu de séances du nouveau gouvernement !… C’est, remarquait l’Empereur, que nous sommes le peuple de l’Europe le plus propre à prolonger nos mutations ; un tel état ne pourrait même être supporté que par nous seuls. Aussi voyez comme chacun, de quelque parti qu’il soit, semble intimement convaincu que rien n’est encore fini ; et l’Europe partage cette opinion, parce qu’elle la fonde au moins autant sur notre inconstance, notre mobilité naturelles, que sur la masse des évènements arrivés depuis trente ans, etc. »


Continuation de souffrances et de réclusion – Eût dû mourir à Moskou ou à Waterloo – Éloge de sa famille.


Lundi 4.

Aujourd’hui l’Empereur n’a encore voulu recevoir personne de tout le matin ; il m’a fait appeler à l’heure de son bain, durant et après lequel encore nous avons causé fort longtemps sur la chaîne de nos connaissances anciennes, les historiens qui nous les ont transmises, les fils qu’ils avaient attachés, etc. La conclusion forcée revenait toujours à l’extrême jeunesse de notre univers, ou bien plus sûrement encore à celle de la race humaine. De là nous sommes passés à la charpente du globe, aux irrégularités de sa surface, à l’inégalité du partage des terres et des mers, au total de sa population, à l’échelle suivant laquelle elle est répandue, aux diverses associations politiques qu’elle forme, etc. Je trouvais à l’Europe cent soixante dix millions d’habitants : il remarquait qu’il en avait gouverné quatre-vingt millions ; j’ajoutais qu’après l’alliance de la Prusse et de l’Autriche il marchait à la tête de plus de cent. Il a changé assez brusquement de conversation. Mon Atlas a été demandé ; il s’est mis à parcourir l’Asie, faisant concorder les marges et le tableau, et il s’interrompait parfois pour dire que c’était vraiment un ouvrage sans prix pour la jeunesse et les salons.

Plus tard, l’Empereur, parlant des merveilles de sa vie et des vicissitudes de sa fortune, disait qu’il eût dû mourir à Moscou ; que sa gloire militaire eût été sans revers, et sa carrière politique sans exemple dans l’histoire du monde ; et il fit alors un de ces tableaux rapides et animés qui lui sont si familiers, et qu’il porte la plupart du temps au sublime. Et comme il n’apercevait pas une figure précisément approbative : « Ce