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tillon ; mais Archambault protestait qu’il serait moins sûr qu’en menant seul : depuis le départ de son frère, il n’avait cessé, disait-il, de s’exercer au milieu de ces arbres, pour s’assurer qu’il pouvait répondre de lui. Alors l’Empereur est monté, et nous avons fait deux tours. En revenant, il a été visiter la demeure du grand maréchal, qu’il ne connaissait pas encore.

La soirée s’est terminée par la lecture de quelques passages de la Médée de Longepierre, que l’Empereur a interrompue pour la comparer à celle d’Euripide, qu’il s’est fait apporter. Il a dit à ce sujet qu’il avait commandé jadis qu’on lui donnât, sur le théâtre de la cour, une de ces pièces grecques dans son intégrité, en choisissant la meilleure traduction, et se rapprochant du reste le plus possible de l’original dans les manières, le costume, les formes, la décoration. Il ne se rappelait pas quelle circonstance, quel obstacle en avaient arrêté l’exécution.

Rentré dans sa chambre, et ne se trouvant pas disposé à dormir, il s’est jeté, après quelques tours, sur son canapé : il a ouvert un recueil ou espèce d’almanach politique qui se trouvait sous sa main ; il est tombé sur la listé de nos maréchaux qu’il a passés en revue, les accompagnant de citations et d’anecdotes connues ou déjà dites. Arrivé au maréchal Jourdan, il s’y est arrêté assez longtemps ; il a terminé disant : « En voilà un que j’ai fort maltraité assurément. Rien de plus naturel, sans doute, que de penser qu’il eût dû m’en vouloir beaucoup. Eh bien ! j’ai appris, avec un vrai plaisir, qu’après ma chute il est demeuré constamment très bien. Il a montré là cette élévation d’âme qui honore et classe les gens. Du reste, c’est un vrai patriote : c’est une réponse à bien des choses. »

De là, passant à beaucoup d’autres objets, il s’est arrêté sur la guerre de Russie.

« Au surplus, a-t-il dit, à la suite de beaucoup d’antécédents, cette guerre eût dû être la plus populaire des temps modernes : c’était celle du bon sens et des vrais intérêts, celle du repos et de la sécurité de tous ; elle était purement pacifique et conservatrice, tout à fait européenne et continentale. Son succès allait consacrer une balance, des combinaisons nouvelles, qui eussent fait disparaître les périls du temps pour les remplacer par un avenir tranquille, et l’ambition n’entrait pour rien dans mes vues. En relevant la Pologne, cette véritable clef de toute la voûte, j’accordais que ce fût un roi de Prusse, un archiduc d’Autriche, ou tout autre qui en occupât le trône ; je ne prétendais rien acquérir, je ne me réservais que la gloire du bien,