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madame de Genlis, de madame Cottin, dont il venait de lire Claire d’Albe, et de madame de Staël. Il s’est fort arrêté sur cette dernière, et a répété en partie ce qu’on a déjà vu. Parlant de son exil, il disait : « Sa demeure à Coppet était devenue un véritable arsenal contre moi ; on venait s’y faire armer chevalier. Elle s’occupait à me susciter des ennemis, et me combattait elle-même. C’était tout à la fois Armide et Clorinde. » Ensuite se résumant, ainsi que cela lui était ordinaire, il a conclu : « Et puis, en somme, il est vrai de dire que personne ne saurait nier qu’après tout madame de Staël est une femme d’un très grand talent, fort distinguée, de beaucoup d’esprit : elle restera.

« Plus d’une fois autour de moi, et dans l’espoir de me ramener, on a essayé de me faire entendre qu’elle était un adversaire redoutable, et pourrait devenir une alliée utile. Il est sûr que, si elle m’eût adopté, au lieu de me dénigrer, ainsi qu’elle l’a fait, j’y eusse pu gagner sans doute, car sa position et son talent la faisaient régir les coteries ; et l’on connaît toute leur influence à Paris. » Puis il a ajouté encore : « Et malgré tout le mal qu’elle a dit de moi, sans compter tout celui qu’elle dira encore, je suis loin assurément de la croire, de la tenir pour une méchante femme : tout bonnement c’est que nous nous sommes fait la petite guerre, et voilà tout. »

De là, passant à la foule d’écrivains déclamant contre lui, il a dit : « Je suis destiné à être leur pâture ; mais je redoute peu d’être leur victime : ils mordront sur du granit. Ma mémoire se compose toute de faits, et de simples paroles ne sauraient les détruire. Pour me combattre avec succès, il faudrait se présenter avec le poids et l’autorité de faits à soi. Si le grand Frédéric, ou tout autre de sa trempe, se mettait à écrire contre moi, ce serait autre chose ; il serait temps alors de commencer à m’émouvoir peut-être ; mais quant à tous les autres, quelque esprit qu’ils y mettent, ils ne tireront jamais qu’à poudre. Je survivrai…, et quand ils voudront être beaux, ils me vanteront. »


Soin des blessés aux armées ; le baron Larrey ; circonstance caractéristique.


Mardi 22, mercredi 23.

Le temps a été très mauvais. L’Empereur, qui souffrait des dents, et dont une joue était fort enflée, n’a pu sortir ces deux jours. J’en ai passé la plus grande partie auprès de sa personne dans sa chambre ou le salon, dont il avait fait un lieu de promenade, en laissant ouvertes les portes de communication.

Dans les divers objets de sa conversation, une fois il m’a dit certaines