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l’assoupissement durait encore. Après de vains efforts pour combattre le sommeil, il m’a dit qu’il allait s’y abandonner et se jeter sur son lit. Il était d’autant plus étonné de ce besoin, qu’il disait avoir bien dormi dans la nuit.

L’Empereur n’a paru que pour le dîner, toujours combattant son assoupissement ; il s’est retiré presque aussitôt.

Comme il était de fort bonne heure, il m’a fait demander après s’être mis au lit, et m’a retenu près d’une heure, causant sur divers objets.

La conversation a conduit à Louis XVI, à la reine, à madame Élisabeth, à leur martyre, etc. L’Empereur me demandait ce que j’avais connu du roi et de la reine, ce qu’ils m’avaient dit lors de ma présentation, etc., etc. Les formes, les circonstances étaient les mêmes, disais-je, que celles qui avaient été adoptées pour lui sous l’empire. Quant au caractère, je disais qu’en général on avait été d’accord que la reine avait trompé l’attente publique ; qu’elle avait fait croire, dès les premiers instants de l’orage, à de grands talents, à beaucoup d’énergie, et qu’elle n’avait ensuite montré rien de tout cela. Quant au roi, je me contentais de rendre à l’Empereur l’opinion de M. Bertrand de Molleville, que j’avais beaucoup connu, et qui avait été son ministre de la marine au plus fort de la crise. Il lui reconnaissait une instruction peu commune, un jugement très sain, des intentions excellentes ; mais tout finissait là, et il ne manquait jamais de se noyer ensuite dans la multiplicité des conseils qu’il sollicitait, aussi bien que dans l’irrésolution et les vices de leur exécution.

L’Empereur a répondu à son tour par le portrait de la reine, fourni par madame Campan, qui, disait-il, ayant été sa confidente, et lui ayant porté beaucoup de zèle, d’affection et de fidélité, avait beaucoup de choses à dire, et méritait d’être considérée comme une bonne autorité. Madame Campan, ajoutait-il, l’avait souvent entretenu des plus petits détails de la vie privée de la reine, et il en a raconté une foule de choses toutes venues de cette source.

La reine, selon madame Campan, était une femme charmante, mais sans nulle capacité, bien plus calculée pour les plaisirs que pour la haute politique ; d’un très bon cœur, nullement prodigue, plutôt avare, et pas du tout à la hauteur de la crise qui la dévora ; au surplus, d’intelligence suivie avec les machinations royalistes du dehors, et ne doutant nullement de sa délivrance par l’étranger, et pour le moment même où elle succomba sous l’effroyable 10 août, catastrophe amenée précisément par les intrigues et les espérances mêmes de la cour, que l’impéritie du