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dans l’île de Sainte-Hélène, et de partager les restrictions imposées à l’empereur Napoléon personnellement. »

J’ai été vers une heure trouver l’Empereur dans sa chambre, je lui ai rendu compte de quelques commissions très particulières… . . . . La conversation a continué sur des sujets qui le touchaient de près, et qu’il a terminée en répétant plusieurs fois : Triste race humaine !

Plus tard, l’Empereur, passant en revue un grand nombre de personnes connues sur lesquelles il donnait son opinion, s’est arrêté sur une qu’il a peinte comme une des plus immorales et des plus abjectes. Or, elle se trouvait précisément de ma connaissance, et je me suis récrié sur ce qu’elle était tout l’opposé de cela ; et comme je la défendais avec chaleur, l’Empereur m’a interrompu, disant : « Je vous crois ; mais on me l’avait peinte de la sorte. Et, bien qu’en général je me fusse fait la loi d’écouter avec défiance, cependant vous voyez qu’il s’en grave toujours quelque chose dans l’esprit. Peut-il y avoir de ma faute ? Quand je n’avais nul motif particulier de vérification, quel redressement me demeurait ? Et voilà, a-t-il continué, le résultat inévitable des commotions civiles : il est toujours deux réputations, selon les deux couleurs. Que d’absurdités, que de contes ridicules se sont attachés aux personnages qui ont figuré dans notre révolution[1] ! Vos salons sont-ils pleins d’autre chose ? Moi, n’en suis-je pas un assez bel exemple ? et après moi, qui, au fait, aurait droit de se plaindre ? Cependant je le proteste, soit par nature, soit par réflexion, jamais rien de tout cela n’influença mon humeur ou n’altéra aucune de mes déterminations. »

Et puis, passant en revue un grand nombre de généraux, il s’est arrêté sur le général Maison, disant : « Ses manœuvres autour de Lille, dans la crise de 1814, avaient attiré mon attention et l’avaient gravé dans mon esprit. Il n’était pas avec nous en 1815 ; qu’est-il devenu ? Qu’a-t-il fait à cette époque, m’a-t-il demandé ? » Mais je n’ai pu répondre, je ne le connaissais pas, etc.

  1. Je profite de l’occasion pour redresser ici une erreur précisément de cette nature. On lit plus haut que M. Monge monta à la tribune des Jacobins et déclara, etc. Or, les amis, les intimes, les pareils de ce savant estimable et si distingué, sont venus m’affirmer qu’il était notoire à tous ceux qui le connaissaient qu’il n’avait jamais paru aux Jacobins, qu’il n’avait jamais pris la parole dans aucune assemblée publique, etc., etc.