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crire une foule d’ordres et d’instructions, s’était mis à causer familièrement, tout en marchant dans sa chambre, et qu’il avait dit : « Dans trois ou quatre jours, nous donnerons une bataille que je gagnerai : elle me portera au moins à l’Elbe, et peut-être à l’Oder. Là je donnerai une seconde bataille, que je gagnerai de même. Alors…, alors…, dit-il d’un air méditatif, et la main sur le front… Mais c’est assez, ne faisons point de romans… Clarke, dans un mois vous serez gouverneur de Berlin, et l’histoire vous citera comme ayant été, dans la même année et dans deux guerres différentes, gouverneur de Vienne et de Berlin, c’est-à-dire des monarchies d’Autriche et de Prusse. Et à propos de cela, ajouta-t-il en riant, que vous a donné François pour avoir gouverné sa capitale ? – Sire, rien du tout. – Comment, rien du tout ? c’est bien fort ! Eh bien ! c’est donc à moi à payer sa dette. » Et il lui donna une assez forte somme pour acheter, autant que je puis me le rappeler, un hôtel à Paris ou une maison de campagne dans les environs.

Du reste, il est à remarquer que les évènements dépassèrent même les combinaisons de Napoléon ; il ne donna qu’une bataille ; le dix-septième jour il était dans Berlin, et il se trouva porté jusqu’à la Vistule.

« Clarke, disait Napoléon, avait la manie des parchemins ; il passait une partie de son temps, à Florence, à rechercher ma généalogie ; il s’occupait aussi de la sienne, et était venu à bout de se persuader, je crois, qu’il était le parent de tout le faubourg Saint-Germain. Nul doute qu’il ne se croie aujourd’hui beaucoup plus relevé d’être le ministre d’un roi légitime, que d’avoir été celui d’un empereur parvenu. Il jouit dans ce moment, dit-on, d’une grande faveur ; je lui en souhaite la durée : elle a commencé peu de jours avant mon arrivée à Paris, au moment où la cause du roi était désespérée ; il aura trouvé beau d’accepter un ministère quand tout paraissait perdu. Je n’ai rien à dire contre, cela peut avoir son beau côté ; mais il faut avoir des convenances et il en a manqué. Toutefois je lui pardonne facilement ce qui me concerne… Plus d’une fois, en 1813 et en 1814, on essaya de m’inspirer des doutes sur sa fidélité, je ne m’y arrêtai jamais : je l’ai toujours cru probe et honnête. » Et les intimes du duc de Feltre peuvent attester que Napoléon n’était que juste dans l’opinion qu’il avait prise des sentiments de son ministre.

Le duc de Feltre, en rendant compte à l’Empereur de l’arrivée de M. le comte d’Artois en Suisse, lui conseillait de faire la paix. L’Empereur lui répondit, sous la date du 22 février 1814 : « … Quant au conseil que vous me donnez de faire la paix, c’est trop ridicule ; c’est en s’aban-