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auprès du Directoire cisalpin, qui répondit qu’on devait s’éviter toute peine sur ce point et n’y plus songer.

« Dès que je fus informé des véritables instructions de Clarke, j’abordai franchement le sujet avec lui : il m’importait peu qu’on rendît des comptes, disais-je ; il ne tarda pas à s’en convaincre. Sa mission en Autriche repoussée par cette puissance, je lui offris de le faire travailler, et il me resta ; depuis je n’ai cessé d’en prendre soin, suivant ma coutume, bien qu’au fond nous n’eussions peut-être pas une grande sympathie, et je l’aurais indubitablement repris lors de mon retour, si je l’eusse retrouvé dans les rangs avec les autres. On sait que je me défaisais difficilement de ceux avec qui j’avais commencé ; quand on s’était une fois embarqué avec moi, je ne savais pas ce que c’était que de jeter quelqu’un à la mer ; il me fallait y être forcé. Son premier talent était d’être grand travailleur. »

Après brumaire, Clarke se trouva naturellement près du Premier Consul comme aide de camp ou autrement. Il y avait alors moins d’étiquette au palais, les attributions étaient moins distinctes, on y vivait beaucoup plus en famille. L’entourage du Consul formait une table commune : Clarke y eut quelques querelles ; il était très susceptible, fort pointilleux. Quelque chose en ayant rejailli jusque sur le Premier Consul même, celui-ci le nomma à l’ambassade de Florence, auprès de la reine d’Étrurie. Le poste était charmant en lui-même, mais c’était une disgrâce. Clarke sollicita longtemps et de toute manière pour être rappelé. Cet heureux moment arriva, mais son épreuve n’était pas finie. Le Premier Consul lui parlait peu, le faisait courir aux Tuileries, à Saint-Cloud, au camp de Boulogne, ne s’expliquait point, ne lui accordait rien. Clarke, au désespoir, confiait à quelqu’un qu’il ne lui restait plus qu’à se jeter dans la Seine, ne pouvant supporter plus longtemps l’apparence du mépris et le dénuement de sa situation. Il en était là quand tout à coup il lui arriva, et au même instant, de se trouver nommé secrétaire du cabinet topographique, conseiller d’État, et autre chose encore, lui composant un traitement peut-être de 60 à 80.000 francs. C’était là le faire de Napoléon ; il est connu que son premier bienfait en amenait presque toujours immédiatement beaucoup d’autre. Dans ces cas, il ne donnait pas, il accablait, mais encore fallait-il savoir profiter de cet instant ; il pouvait être sans bornes ou s’évanouir sans retour.

J’avais beaucoup connu le général Clarke à titre d’ancien camarade de l’École militaire. Dans le temps, il m’a raconté que, quelques jours avant la bataille d’Iéna, l’Empereur, sous la dictée duquel il venait d’é-