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Causant des campagnes d’Italie, il m’a demandé ce que j’avais fait des premiers brouillons, remarquant que tous les chapitres avaient dû être recopiés plusieurs fois. Je lui ai dit que j’avais conservé le tout précieusement. Il m’en a fait apporter tout ce qui demeurait en dehors de deux exemplaires complets, et l’a envoyé brûler au feu de la cuisine.

Je dois avoir dit plus d’une fois que l’Empereur savait que je tenais mon Journal. C’était demeuré un secret rigoureux pour tout le monde, aussi l’Empereur ne m’en parlait-il jamais qu’à la dérobée ou quand nous nous trouvions seuls. Il me demandait souvent si je le continuais toujours et ce que je pouvais y mettre. « Sire, tout ce que dit et fait Votre Majesté du matin au soir et chaque jour. – Vous devez donc avoir là, disait-il, un furieux rabâchage et beaucoup de choses inutiles ? Mais n’importe, continuez, un jour nous le verrons ensemble. »

Toutes les fois qu’il entrait dans ma chambre, il y apercevait le fidèle Aly, dont la complaisance, dans ses moments perdus, était employée à recopier discrètement ce Journal. D’ordinaire l’Empereur venait alors jeter les yeux sur le travail d’Aly, et après en avoir parcouru deux ou trois lignes, c’est-à-dire après l’avoir reconnu, il s’en éloignait ou parlait d’autre chose, sans jamais avoir touché ce sujet. Cela lui était arrivé précisément encore ce matin ; il se l’est rappelé, et m’a dit qu’il voulait voir enfin ce fameux fatras. Mon fils a été chercher le premier cahier, et la lecture a duré plus de deux heures. Le préambule, qui m’est tout à fait personnel, a mérité son attention ; il s’en est montré satisfait, l’a relu