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« Mon cher, si nous venons à mourir de faim, nous pourrons encore avoir deux ou trois ministres à notre enterrement. » L’Empereur en a beaucoup ri, et convenait que le mot peignait à merveille la situation du temps et des choses.

Après la leçon d’anglais et la conversation qui a suivi, l’Empereur est sorti pour se promener. Au retour, le docteur est venu dire à l’Empereur que le colonel Reade, qu’il avait consenti de recevoir en lieu et place du gouverneur, demandait à lui être présenté. Cet officier a remis à l’Empereur une note assez longue. L’Empereur m’a appelé pour en être l’interprète. C’étaient les communications que sir Hudson Lowe avait vainement essayé, durant trois ou quatre jours, de faire lui-même en personne. C’était une satisfaction qu’il se ménageait vis-à-vis de l’Empereur, car elles étaient exprimées dans les termes les plus offensants. Ce trait est caractéristique, il n’a pas besoin de commentaire. On trouvera cette note aux pièces officielles, ou j’y reviendrai lorsqu’elle aura amené un résultat[1]. La dureté des expressions, et surtout la menace qui s’y trouvait souvent répétée contre nous d’être arrachés d’auprès de l’Empereur nous a occupés désagréablement, et a répandu sur nous tous beaucoup de sombre tout le reste du jour.


L’Empereur lit mon Journal et me dicte – Conférence entre le grand maréchal et le gouverneur.


Samedi 5.

J’étais encore couché lorsque d’assez bon matin j’ai entendu la porte de ma chambre s’ouvrir doucement : elle est si encombrée par mon lit et celui de mon fils, qu’on arrive difficilement à moi. J’ai aperçu un bras entrouvrant avec autorité mon rideau ; c’était celui du maître. Heureusement je me trouvais entre les mains un ouvrage de géométrie, ce qui l’a édifié, et sauvait, a-t-il dit, ma réputation. Je me suis jeté à bas, et en peu d’instants j’ai eu rejoint l’Empereur, qui seul gagnait le bois. Il a causé fort longtemps des évènements de la veille. Il est rentré pour se mettre au bain, étant fort souffrant ; il avait passé une mauvaise nuit.

À une heure, il m’a fait appeler ; il était au salon, il désirait prendre sa leçon d’anglais. La chaleur était forte, le temps très lourd. L’Empereur, fort abattu, n’a pu se livrer au travail ; il a sommeillé à diverses reprises, je veillais à côté de lui ; enfin il s’est décidé à prendre le dessus, a-t-il dit en se levant ; il a gagné la salle de billard pour respirer un peu le grand air.

  1. On a dû voir que je renvoie souvent aux pièces officielles. Si on ne les trouve pas ici, ce n’est pas ma faute : l’Empereur m’avait chargé, à Longwood, de les garder toutes et de les tenir classées ; leur ensemble composait nos petites archives ; je comptais y avoir recours au besoin ; mais lors de mon enlèvement par sir Hudson Lowe, et de la saisie de tous mes papiers, je me trouvai séparé de ces pièces, que je n’ai plus le moyen de me procurer aujourd’hui.