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bien sensible ; ils s’étaient faits promptement aux douceurs du poste : ils ont tous été réellement rois. Tous, à l’abri de mes travaux, ont joui de la royauté ; moi seul n’en ai connu que le fardeau. Tout le temps j’ai porté le monde sur mes épaules, et ce métier, après tout, ne laisse pas que d’avoir sa fatigue, etc.

« On me dira peut-être pourquoi m’obstiner à créer des États, des royaumes ? Mais les mœurs et la situation de l’Europe le commandaient ainsi. Chaque nouvelle réunion à la France accroissait les alarmes de tous ; elle faisait pousser les hauts cris et reculait la paix. Mais alors, continuera-t-on, pourquoi avoir la vanité de placer chacun des miens sur un trône ? car le vulgaire n’y aura vu que cela. Pourquoi ne pas s’arrêter plutôt sur de simples particuliers plus capables ? À cela je réponds qu’il n’en est pas des trônes héréditaires comme d’une simple préfecture. La capacité, les moyens sont aujourd’hui si communs dans la multitude, qu’il faut bien se donner de garde d’éveiller l’idée du concours. Dans l’agitation où nous nous trouvions plongés, et avec nos mœurs modernes, il fallait bien plutôt songer à la stabilité et à la centralisation héréditaire ; autrement, que de combats, que de factions, que de malheurs !!! Dans l’harmonie que je méditais pour le repos et le bien-être universels, s’il fut un défaut dans ma personne et dans mon élévation, c’était d’avoir surgi tout à coup de la foule. Je sentais mon isolement ; aussi je jetais de tous côtés des ancres de salut au fond de la mer. Quels appuis plus naturels pour moi que mes proches ? Pouvais-je mieux attendre de la part des étrangers ? et si les miens ont eu la folie de manquer à ces liens sacrés, la moralité des peuples, supérieure à leur aveuglement, remplissait une partie de mon objet. Avec eux, ils se croyaient plus en repos, plus en famille.

« En somme, de si grands actes n’étaient ni des caprices ni des plaisanteries ; ils tenaient aux considérations de l’ordre le plus élevé, ils se rattachaient au repos de la race humaine et à la possibilité d’améliorer sa condition. Que si, malgré les combinaisons faites de la meilleure foi, on s’est trouvé encore n’avoir rien fait qui vaille, c’est qu’il faut en revenir à une grande vérité, savoir, qu’il est bien difficile de gouverner, quand on veut le faite en conscience, etc., etc. »

N. B. La lettre suivante, d’une date fort antérieure, va jeter un grand jour sur les paroles de Napoléon, rapportées quelques pages plus haut, au sujet de la conduite de son frère en Hollande. Plus tard, le roi Louis a publié une espèce de compte rendu de son administration à la nation